Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences.
Le pouvoir juridique d’assumer certaines fonctions n’a de sens que si les collectivités locales disposent de ressources financières pour le mettre en pratique. Les ressources des collectivités locales constituent un sujet sensible et une importante source de controverses dans de nombreux pays, mais le sujet est particulièrement délicat en Grèce.
Ce thème est déjà abordé dans la Recommandation 247 (2008), selon laquelle « le financement des municipalités et des communes reste très insuffisant. Il est fondé presque exclusivement sur des transferts de l’Etat ». Il était recommandé aux autorités grecques en charge de l’autonomie locale et régionale : « c. de diriger l’évolution du système financier vers une plus large diversification des sources de recettes des collectivités locales, selon la directive de l’article 9, paragraphe 4, de la Charte, en développant les bases d’une plus grande autonomie financière par le biais de la perception des recettes locales (redevances et charges, emprunts et fiscalité directe) ; d. de renforcer le système du financement local, en conformité avec l’article 9 (paragraphes 1 et 2) de la Charte, dans le cadre de la décentralisation et du transfert de compétences pour les collectivités locales, en envisageant une participation plus élevée du PIB (produit intérieur brut) et de l’ensemble des dépenses publiques au financement des collectivités locales ».
Les recettes et dépenses des collectivités locales, exprimées en pourcentage du PIB, sont très faibles en Grèce. L’autonomie fiscale des deux niveaux reste limitée. Leur part des dépenses publiques est l’une des plus faibles en Europe. Plus précisément, les dépenses des deux niveaux de collectivités locales représentaient en 2011 2,8 % du PIB et 5,6 % du total des dépenses publiques. Toujours en 2011, les recettes des collectivités locales n’atteignaient que 2,6 % du PIB et 5,6 % des recettes totales du secteur public.
Les difficultés déjà existantes se sont accrues ces dernières années. D’un côté, la réforme Kallikratis a renforcé les compétences des collectivités locales, et donc leurs besoins en ressources financières ; de l’autre, la crise financière sans précédent et les protocoles d’accords qui ont suivi ont imposé de sévères mesures d’austérité et d’importantes coupes budgétaires dans tout le secteur public.
La crise économique a eu de très lourdes conséquences sur la situation des collectivités locales en Grèce. Les pouvoirs locaux et régionaux, comme il a été dit aux rapporteurs, doivent « en faire beaucoup plus avec beaucoup moins ». Les financements globaux (dotation aux collectivités locales) ont diminué de pas moins de 60 % en cinq ans. Dans le même temps, les municipalités se sont trouvées face à une demande croissante d’aide à l’enfance, aux personnes âgées et, en particulier, d’aide sociale aux pauvres et aux personnes au chômage. Beaucoup de municipalités se sont montrées très imaginatives, lançant des « banques de temps » (services offerts en échange d’autres services), des « supermarchés sociaux », des « épiceries solidaires » etc. Parallèlement, l’Etat et notamment le ministère des Finances se sont clairement efforcés de contrôler et de coordonner la gestion des budgets municipaux, comme on l’a vu plus haut (concernant l’article 8).
Dans sa réponse écrite aux questions des rapporteurs, le ministère des Finances souligne que le bilan des collectivités locales s’est nettement amélioré ces dernières années. Les résultats budgétaires publiés par l’ELSTAT illustrent cette amélioration. Les forts excédents devraient être considérés comme pérennes, ce que reflètent également les projections du Cadre de stratégie budgétaire à moyen terme 2015-2018. Remarquons qu’en raison du programme d’ajustement de l’économie, plusieurs mesures ont été appliquées pour améliorer la santé financière des collectivités locales. Certaines visaient à améliorer les recettes propres, comme l’augmentation des rentrées fiscales via la mise en place d’une attestation obligatoire de paiement des impôts locaux et l’augmentation des autres recettes grâce à des économies d’échelle et une meilleure organisation du mécanisme d’encaissement, tandis que d’autres visaient à rationaliser les dépenses (mise en place d’un système électronique pour la passation de marchés publics, réduction du coût des expropriations foncières, réduction du nombre de contrats à durée déterminée, baisse des primes saisonnières dans le secteur public, baisse du nombre de postes de conseillers auprès des élus, taux de prime fixe pour les présidents et administrateurs des entreprises municipales etc.).
En outre, malgré les mesures d’austérité qui ont entraîné la réduction de la dotation aux collectivités locales, ces dernières sont parvenues à appliquer avec succès les mesures citées plus haut et donc à contribuer à l’effort financier du pays, principalement en maintenant à un niveau élevé leurs propres recettes (taxes et redevances, impôts sur le revenu, autres taxes et services etc.) malgré la récession économique et la rationalisation supplémentaire des frais de fonctionnement. Il faut noter qu’un des vecteurs clés de l’équilibre positif atteint en 2013 a été le règlement des obligations impayées par le budget de l’Etat, à partir du crédit spécial du programme de liquidation des arriérés.
Comme le souligne le Cadre budgétaire 2015-2018, « le bilan financier [des collectivités locales] en 2013 s’est amélioré par rapport à 2012, ce qui s’explique principalement par le maintien de hauts niveaux de recettes propres malgré la crise économique et par la rationalisation supplémentaire de leurs coûts de fonctionnement, qui ont baissé d’environ 12 % par rapport à 2012. L’un des facteurs cruciaux pour atteindre un équilibre positif en 2013 a été le financement (environ 933 millions d’euros cumulés pour 2012-2013) via le crédit spécial instauré par l’Etat pour liquider les arriérés antérieurs à 2011 ».
Néanmoins, les rapporteurs ne peuvent considérer que l’article 9.1 de la Charte est dûment respecté en Grèce : à ce jour, les collectivités locales n’ont pas de « ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement ». En pratique, les prises de décisions et en particulier la mise en œuvre des politiques dépendent souvent de ressources contrôlées par l’Etat, et non par les collectivités locales.
S’agissant de l’article 9.2 de la Charte, le principe de la proportionnalité (selon lequel il devrait exister une relation adéquate entre les ressources financières dont dispose une collectivité locale et les tâches dont elle s’acquitte) a été violé, puisque plusieurs responsabilités supplémentaires ont été transférées aux municipalités sans les ressources correspondantes, comme la plus haute juridiction administrative l’a reconnu en plusieurs cas.
L’article 9, paragraphe 3 de la Charte demande qu’une partie des ressources financières des collectivités locales provienne d’impôts locaux dont elles doivent pouvoir fixer le taux. Le paragraphe 4 pose le principe de la diversification des ressources financières des collectivités locales, et le paragraphe 5 celui de la péréquation financière. Le paragraphe 6 énonce la nécessité de consultations appropriées, le paragraphe 7 limite l’octroi de subventions spéciales aux collectivités locales et le paragraphe 8 prévoit l’accès de ces dernières au marché national des capitaux.
Sur ces sujets, les rapporteurs soulignent que d’après les données fournies dans la réponse écrite du ministère des Finances (citant les résultats budgétaires publiés par l’ELSTAT pour 2013), les ressources des collectivités locales se répartissent comme suit : dotations du budget ordinaire : 45 % du total des ressources dotations du budget des investissements programmés : 11 % du total des ressources autres : 34 % du total des ressources (dont a) ressources liées aux droits et devoirs réciproques : 15 %, b) recettes, devoirs, droits et services de nature fiscale 7 %, c) autres ressources propres 6 %, d) ressources issues des années antérieures 6 %) Ressources collectées pour le compte de tierces parties : 10 % du total des ressources
La structure des dépenses des collectivités locales se présente comme suit : rémunération du personnel : 25 % du total des dépenses prestations sociales : 12 % du total des dépenses intérêts : 1 % du total des dépenses dépenses dans le cadre du budget des investissements programmés : 17 % du total des dépenses autres : 33 % du total des dépenses (dont a) paiements issus des années antérieures : 5 %, b) transferts à des tierces parties 10 %, c) autres dépenses de fonctionnement 18 %) dépenses pour le compte de tierces parties : 12 % du total des dépenses
Comme on vient de le voir, les autres ressources des collectivités locales (c’est-à-dire excluant les dotations de l’Etat et du budget des investissements programmés), qui représentent environ 34 % du total des ressources, se divisent en quatre grandes catégories : a. ressources liées aux droits et devoirs réciproques : 47 % des ressources propres en 2013 b. recettes, devoirs, droits et services de nature fiscale : 22 % des ressources propres en 2013 c. autres : 13 % des ressources propres en 2013 d. ressources issues des années antérieures : 18 % des ressources propres en 2013 Notons que la part des trois premières catégories (a+b+c) est plus élevée si l’on tient compte des montants liés à la fiscalité, aux droits, aux devoirs etc. mais qui sont issus des années antérieures, et donc comptabilisés dans la quatrième catégorie.
Concernant la capacité des collectivités locales à fixer librement le taux des impôts locaux, le ministère des Finances a souligné ce qui suit : les devoirs réciproques sont déterminés en fonction du coût du service offert. Ce montant est approuvé par le conseil municipal et par le secrétaire général de l’administration déconcentrée ; le taux des autres impôts locaux est fixé par la loi et ne peut être modifié par les collectivités locales.
Enfin, le ministère des Finances fixe le montant total des dotations obligatoires (dotation aux collectivités locales) et des subventions spéciales accordées aux collectivités locales en tenant compte de la performance d’impôts spécifiques (comme la TVA, l’impôt sur les sociétés, l’impôt foncier) et de certains besoins et événements (par exemple la récession économique, l’augmentation des responsabilités). La redistribution et le versement des montants susmentionnés relèvent de la responsabilité du ministère de l’Intérieur et dépendent de critères quantitatifs et qualitatifs comme le nombre d’habitants, le taux de chômage, la croissance, etc.
D’autres informations sur les ressources financières locales ont été fournies, sous un angle complètement différent, par le Médiateur grec. D’après les données du Médiateur, les plaintes les plus fréquentes concernant les relations entre citoyens et pouvoirs publics pour le premier niveau de l’administration locale portent sur les problèmes financiers suscités par les impôts locaux. En outre, l’inefficacité de la levée des impôts nuit à l’autonomie financière des collectivités locales et à leur capacité à remplir leurs obligations contractuelles et autres.
L’expérience du Médiateur l’amène à conclure que les collectivités locales ne sont pas assez préparées à lever des impôts locaux ou, plus précisément, qu’elles s’avèrent incapables de mettre en œuvre la législation en la matière, complexe et bien souvent désuète.
L’incapacité des collectivités locales à honorer leurs obligations financières constitue également un sérieux problème. De nombreux citoyens déposent des plaintes parce que les autorités municipales ne reconnaissent pas les dettes de leurs prédécesseurs. En général, les pouvoirs locaux refusent de s’acquitter de leurs obligations financières, qu’elles émanent de conditions contractuelles ou de dispositions légales. Dans les cas d’expropriations de biens pour des raisons d’aménagement du territoire, il est rare que les propriétaires touchent la compensation dans les délais ; nombre d’entre eux se tournent alors vers le Médiateur.
Dans ce contexte, les rapporteurs sont pleinement conscients de la crise financière sans précédent et des contraintes internationales auxquelles les autorités grecques doivent faire face. En tant qu’acteurs importants du pays, les collectivités locales doivent contribuer au processus de consolidation.
Néanmoins, les rapporteurs estiment que cette situation d’urgence économique et financière ne saurait suspendre la nature contraignante de la Charte. Ils réaffirment donc, en tenant compte de la Recommandation 247 (2008), que le financement des collectivités locales reste insuffisant, puisqu’il repose presque exclusivement sur des transferts de l’Etat.
Le système financier n’évolue toujours pas vers la plus grande diversification des ressources des collectivités locales prévue par l’article 9.4 de la Charte, qui suppose de développer les bases d’une plus grande autonomie financière au moyen de la collecte de revenus locaux (charges et cotisations, emprunts, taxation directe).
Il reste nécessaire de renforcer le système du financement local, conformément à l’article 9 (paragraphes 1 et 2) de la Charte, dans le cadre du transfert de pouvoirs aux collectivités locales, en recherchant une participation plus élevée du PIB (produit intérieur brut) et de l’ensemble des dépenses publiques au financement des collectivités locales.
Les rapporteurs jugent qu’une véritable démocratie locale passe par une forte augmentation des ressources propres des pouvoirs locaux et régionaux et de leur latitude quant à leur affectation. Lors de la visite de suivi, les rapporteurs ont remarqué un large consensus autour de la possibilité de transférer le produit des impôts fonciers aux municipalités et aux régions, qui dépendraient alors moins des dotations de l’Etat, rehausseraient le niveau de leurs rentrées fiscales et amélioreraient leur transparence vis-à-vis des citoyens. Ainsi, les rapporteurs invitent les autorités grecques à étudier sérieusement cette possibilité, déjà en place dans de nombreux pays du Conseil de l’Europe où la pratique de l’autonomie locale est ancienne et bien ancrée.