Türkiye

Türkiye - Rapport de monitoring

Date de la visite de monitoring : octobre et novembre 2019 puis décembre 2021
Date d'adoption du rapport: 23 mars 2022

Le présent rapport fait suite à une visite de suivi en trois parties effectuées en Türkiye, pays qui a ratifié la Charte européenne de l’autonomie locale en 1992, avec des réserves sur dix dispositions de la Charte. Les deux premières parties de la visite ont eu lieu respectivement en octobre et novembre 2019. Une autre visite a été effectuée en décembre 2021 afin d’actualiser les informations recueillies en 2019 et de compléter le rapport déjà établi.

 

Les rapporteurs saluent le taux de participation remarquable enregistré lors des récentes élections locales de 2019 (plus de 84 %). Il s’agit d’un des taux les plus élevés dans les États membres du Conseil de l’Europe, qui témoigne du vif intérêt des citoyens pour l’autonomie locale.

 

Cependant, le rapport fait état d’une situation globalement négative en termes d’autonomie locale. Les rapporteurs expriment leur inquiétude concernant les faibles progrès réalisés dans la mise en œuvre de la Recommandation 397(2017) du Congrès relative à la situation des élus locaux en Türkiye. Ils déplorent également le refus de l’administration électorale de certaines provinces d’accorder les certificats électoraux requis à plusieurs candidats ayant remporté les élections. Ils attirent l’attention sur la double fonction des gouverneurs en tant qu’agents de l’État et présidents du comité exécutif provincial, ce qui est contraire à l’esprit de la Charte, ainsi que sur la tutelle administrative vis-à-vis des activités et décisions des collectivités locales, la surrèglementation et l’interventionnisme de la part de l’État dans l’élaboration des décisions des collectivités locales, l’absence de consultation des collectivités locales concernées lors des modifications des limites territoriales introduites par la législation, la capacité limitée des collectivités locales à déterminer le taux des impôts locaux et le fait qu’une large proportion des recettes locales (plus de la moitié) provient encore du budget de l’État, ce qui limite l’autonomie financière des collectivités locales. 

 

Par ailleurs, les autorités nationales sont appelées en particulier à modifier la définition du terrorisme dans la législation en vigueur, afin que cette définition n’autorise pas une interprétation trop inclusive du concept et qu’elle garantisse une application stricte de la loi par le gouvernement ainsi que le respect des droits de l’homme et des valeurs de la démocratie représentative, et à mettre un terme à la pratique actuelle de révocation de maire sans décision judiciaire afin de respecter la présomption d’innocence et le système des élections démocratiques. Elles sont également invitées en particulier à mettre un terme à la pratique consistant à nommer un administrateur gouvernemental dans les communes où le maire a été suspendu, à veiller à ce que les candidats qui ont été autorisés à se présenter aux élections et qui les ont remportées jouissent effectivement du droit d’exercer leur mandat, à apporter à la loi les modifications nécessaires pour que le gouverneur ne soit plus, de jure, le chef de l’administration provinciale spéciale et le président du comité exécutif, à appliquer le principe constitutionnel de la tutelle administrative à un degré d’intensité aussi faible que possible, à renforcer la consultation des collectivités locales et à augmenter la proportion des recettes locales propres. 

 

Le Congrès continuera de suivre attentivement la situation de la démocratie locale et régionale en Türkiye et renforcera son dialogue politique avec les autorités nationales turques dans le but d’améliorer la situation de la démocratie locale et régionale dans le pays à la lumière des dispositions de la Charte. 

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Article ratifié Ratifié avec réserve(s) Non ratifié
Conformité Conformité partielle Non conformité A déterminer
Tout déplier
Tout replier
Article 2
Fondement constitutionnel et légal de l'autonomie locale - Article ratifié

Le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne et, autant que possible, dans la Constitution.


Tout d’abord, il convient de déterminer si le principe de l’autonomie locale est reconnu dans la Constitution turque. Comme on l’a vu dans la section 3.1 ci-dessus, la Constitution turque ne reconnaît pas explicitement le principe de l’autonomie locale. L’article 127 définit et énonce différentes règles et dispositions sur l’administration locale, mais il n’énonce pas les principes en question. Le deuxième alinéa de l’article 127 dispose que « [l]’organisation, les fonctions et les attributions de ces collectivités sont réglementées par la loi conformément au principe de l’administration locale » . Le « principe de l’administration locale » (certaines versions parlent du « principe de décentralisation » ) est différent de celui d’autonomie locale. Le principe d’administration locale désigne un processus de transfert de compétences du niveau central (État) vers le niveau local (ou « périphérique »), mais il n’implique pas nécessairement que le niveau territorial auquel les compétences sont attribuées est « autonome ». 

 

Il convient donc d’examiner la législation ordinaire. En la matière, le texte législatif le plus important est la loi de 2005 sur les municipalités (loi n° 5393). Comme indiqué ci-dessus, cette loi constitue le texte le plus important et le plus détaillé sur l’administration locale en Turquie. Pour la présente analyse, une disposition très intéressante est l’article 3 (« Définitions »), dont le premier alinéa dispose ce qui suit : « Les termes suivants ont la signification indiquée ci-dessous chaque fois qu’ils sont employés dans la présente loi ; Municipalité : entité dotée du statut de personne morale de droit public, ayant des compétences d’autonomie à la fois sur les plans administratif et financier ».

 

Dans le cas des municipalités métropolitaines, le texte pertinent est la loi n° 5216 du 10 juillet 2004 sur les municipalités métropolitaines. Cette loi dispose dans son article 3(a) qu’une « municipalité métropolitaine » est une entité publique dotée d’une autonomie administrative et financière et composée d’au moins trois districts ou municipalités de premier niveau… ». Enfin, la loi de 2005 relative aux administrations provinciales spéciales contient des dispositions analogues : son article 3 dispose qu’une administration provinciale spéciale est une « entité publique dotée d’une autonomie administrative et financière établie pour répondre aux besoins locaux collectifs de la population de la province et dont l’organe décisionnel est élu par les électeurs ». 

 

Par conséquent, les principaux textes relatifs aux trois grands types d’administrations locales énoncent le principe d’autonomie en tant qu’élément constitutif de la définition des municipalités, des municipalités métropolitaines et des administrations provinciales spéciales. Certes, il serait préférable que le principe d’autonomie locale soit reconnu dans un texte général sur l’administration locale, mais les rapporteurs estiment que le cadre législatif de la Turquie respecte les exigences minimales de l’article 2 de la Charte.

 

Compte tenu de ce qui précède, l’article 2 de la Charte est respecté en République de Turquie.


Traduction officielle (anglaise) de la Grande Assemblée nationale. Le texte turc est le suivant : Mahallî idarelerin kuruluÅŸ ve görevleri ile yetkileri, yerinden yönetim ilkesine uygun olarak kanunla düzenlenir

Voir : version anglaise de la Constitution sur le site web de l’Assemblée Nationale (https://global.tbmm.gov.tr/).

Article 3.1
Concept de l'autonomie locale - Article ratifié

Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.


Afin de déterminer si l’article 3, paragraphe 1, de la Charte est respecté dans un pays donné, il faut tout d’abord identifier les compétences, les pouvoirs, les services et les fonctions qui peuvent être exercés et exécutés par les collectivités locales, et ensuite vérifier si ce domaine d’action, ce « groupe » de compétences, est suffisant ou « important » à l’aune des normes européennes les plus communes. 

 

(a)    Municipalités

 

Les compétences, les services et les activités des municipalités sont recensés de manière plus détaillée ci-dessous (voir l’article 4.1 de la Charte). Ces compétences incluent un grand nombre de fonctions dans de multiples domaines, parmi lesquels : l’aménagement du territoire ; l’eau, les égouts et l’assainissement ; les transports publics urbains ; la collecte, le tri et la mise en décharge des déchets ; les infrastructures de base telles que les routes, les rues, les places et les parcs ; les cimetières et les services funéraires ; la lutte contre l’incendie, etc. Outre ces tâches « obligatoires », les municipalités peuvent aussi exercer des fonctions et activités « facultatives » dans d’autres domaines tels que les services sociaux et la lutte contre la pauvreté, l’éducation, la culture et les sports, l’aide sociale, la formation professionnelle, l’aide à domicile pour les pauvres et la construction et l’entretien des écoles publiques. Les municipalités peuvent aussi adopter des réglementations municipales contraignantes. 

 

Il est communément reconnu que le champ des activités des municipalités a été étendu substantiellement dans les années 1980 et que divers processus de décentralisation ont élargi les compétences en question .

 

(b)    Administrations provinciales spéciales

 

Les compétences des administrations provinciales spéciales (APS) sont également présentées plus en détail ci-dessous (voir article 4.1). Les APS sont responsables de la construction des établissements et infrastructures éducatifs, sanitaires et sportifs, ainsi que des infrastructures destinées aux localités rurales et à la production agricole à l’échelle de la province. Il est à noter que les administrations provinciales spéciales assurent les services au moyen d’un régime dual : elles assument des fonctions différentes dans les zones « rurales » et « urbaines ». Dans les zones rurales, par exemple, les APS apportent aux villages une aide et une coopération pour l’exercice de leurs compétences et services. 

 

Compte tenu de ce qui précède, l’article 3.1 est respecté en Turquie.


Voir : U. Barayktar (2007): “Turkish municipalities: Reconsidering local democracy beyond administrative autonomy”, European Journal of Turkish Studies.

Article 3.2
Concept de l'autonomie locale - Article ratifié

Ce droit est exercé par des conseils ou assemblées composés de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux. Cette disposition ne porte pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là ou elle est permise par la loi.


Divers aspects du système turc d’administrations locales doivent être analysés ici : premièrement, la structure de base des collectivités locales ; ensuite, les élections locales ; enfin, les méthodes permettant aux citoyens de participer à la gestion des affaires locales. 

 

Les principaux organes des collectivités locales

 

Municipalités et municipalités métropolitaines

 

Les principaux organes des municipalités (tous types confondus) sont (a) le conseil, (b) le comité exécutif et (c) le maire.

 

i. Le conseil

 

Le conseil municipal est l’organe de décision de la municipalité. Il compte, en fonction de la population, entre neuf et 55 conseillers, élus au suffrage direct tous les cinq ans. Le maire est également membre de droit du conseil municipal, dont il est aussi le président. 

 

Dans les municipalités métropolitaines, cependant, le conseil obéit à des règles spécifiques, puisque ses membres ne sont pas élus lors d’une élection distincte : un cinquième des conseillers municipaux sont élus au niveau du district (en particulier ceux qui réunissent le plus de voix) et deviennent aussi membres du conseil métropolitain. Les maires de district sont aussi membres de droit du conseil métropolitain. Le maire métropolitain est également le président du conseil métropolitain. L’effectif du conseil métropolitain varie de celui des municipalités de district ou des autres types de municipalités. Par exemple, le conseil métropolitain d’Istanbul compte 311 conseillers en plus du maire. 

 

Les principales compétences du conseil municipal sont les suivantes : 

  • approuver le plan stratégique de la municipalité, le programme des travaux et le programme d’investissement ;
  • approuver le budget municipal et le rapport annuel de l’année précédente ;
  • approuver les plans d’aménagement du territoire de la municipalité, à une échelle géographique donnée ;
  • décider de l’octroi de concessions, de la création d’entreprises municipales et de la vente de telles entreprises ;
  • autoriser la municipalité à emprunter, acheter ou vendre des biens ;
  • fixer les montants des redevances pour les services municipaux ;
  • prendre des décisions sur l’organisation de la municipalité ;
  • accorder les autorisations ou les permis.

 

Un élément important de l’organisation locale, du point de vue de la Charte, est la responsabilité du maire devant le conseil municipal. À cet égard, et mis à part les compétences énumérées ci-dessus, le conseil municipal est l’organe de contrôle. Il assure cette fonction en interrogeant le maire et, dans certains cas, en déposant une motion de censure à son encontre. Dans ce dernier cas, une majorité d’au moins les trois quarts de l’ensemble des membres du conseil municipal est requise pour retoquer le rapport annuel ou déclarer le maire incompétent. La résolution sur l’incompétence du maire ne prend effet qu’après approbation par le Conseil d’État. Cependant, comme nos interlocuteurs l’ont souligné, « il est presque impossible de révoquer un maire selon cette méthode. Aucun maire n’a été révoqué au moyen d’une résolution d’incompétence au cours des neuf années écoulées depuis l’entrée en vigueur de cette loi ».

 

ii. Le comité exécutif

 

Le comité exécutif municipal est organe collégial chargé d’exécuter les décisions du conseil. Il se compose du maire et d’un certain nombre d’autres membres compris, en fonction de la population, entre quatre et dix (dans les municipalités métropolitaines). Le maire est également le président du comité exécutif municipal.

Il s’agit d’un organe de type « hybride » : une moitié de ses membres sont des conseillers élus par le conseil municipal, l’autre moitié est composée d’administrateurs municipaux choisis par le maire (dont l’un est l’« administrateur financier » de la municipalité). Les principales fonctions du comité exécutif municipal sont les suivantes :

  • examiner le plan stratégique de la municipalité, le programme de travaux annuel, le budget et les documents relatifs aux recettes et dépenses de l’exercice précédent (soumis au conseil municipal) :
  • adopter les décisions d’expropriation ;
  • organiser les appels d’offres pour l’achat, la vente et la location de biens ;
  • imposer des pénalités et des sanctions administratives.
     

iii. Le maire


Les maires, de même que les conseillers municipaux, sont élus pour un mandat de cinq ans lors d’élections tenues le même jour que celles du conseil municipal. Le nombre de réélections n’est pas limité. L’élection du maire se fait au scrutin majoritaire à un tour, ce qui signifie que le candidat qui remporte le plus de voix est élu. Le maire assume les fonctions suivantes : 

  • présider les réunions du conseil municipal et du comité exécutif municipal ; mettre en œuvre leurs décisions et résolutions ;
  • administrer la municipalité conformément au plan stratégique, au programme de travaux et aux résolutions du conseil municipal ;
  • collecter les revenus et les créances de la municipalité ; 
  • représenter la municipalité ; signer les contrats au nom de la municipalité ;
  • nommer les administrateurs et les employés municipaux ;
  • administrer les organismes et entreprises affiliés à la municipalité et gérer les biens municipaux.

Bien que le principe de base soit que le maire est un « contrepoids exécutif » du conseil, en réalité le système turc engendre un modèle où le maire est extrêmement puissant, probablement l’un des plus puissants en Europe. Le maire dispose d’un pouvoir politique extrêmement fort, du fait de son élection au suffrage universel direct et de son rôle de président à la fois du conseil municipal et du comité exécutif. Il dispose aussi d’un pouvoir administratif important puisqu’il contrôle le budget municipal et assure la gestion du personnel. Il nomme et révoque tous les administrateurs et employés municipaux à l’exception de certains fonctionnaires. De plus, il dispose d’un droit de veto sur les décisions du conseil , qu’il ne peut cependant utiliser qu’une seule fois : si le conseil confirme sa décision, elle devient définitive. Les experts turcs ont souligné ce poids considérable de la fonction de maire et certains parlent même de « conseils impuissants vis-à-vis du poids des maires » .

Malgré cette supériorité politique du maire, le conseil dispose cependant d’un mécanisme de contrôle en dernier ressort, puisqu’il a la possibilité de ne pas approuver le rapport d’activité annuel du maire. Si ce rapport est rejeté par une majorité des trois quarts des membres du conseil, le maire est considéré comme inapte à poursuivre son mandat et peut être démis de ses fonctions avec l’accord du Conseil d’État. Cependant, comme les experts turcs l’ont souligné, « ce mécanisme légal de contrôle n’est que très rarement utilisé et on ne recense quasiment aucun cas d’une telle révocation du maire au moyen d’un vote du conseil municipal » .

Les maires métropolitains que la délégation a rencontrés ont indiqué que la loi sur les municipalités définit clairement les domaines d’action du conseil municipal et ceux du maire et qu’il n’y a aucune superposition ni aucun chevauchement entre ces deux organes dans la gestion quotidienne de la collectivité locale. 

 

Administrations provinciales spéciales

 

Les principaux organes des administrations provinciales spéciales sont (a) le conseil provincial général, (b) le comité exécutif provincial et (c) le gouverneur. En outre, le secrétaire général dirige, pour le compte du gouverneur, les affaires de l’administration provinciale spéciale. Ce secrétaire général est nommé par le ministère de l’Intérieur sur proposition du gouverneur.

 

i. Le conseil provincial général

 

Le conseil provincial général est l’organe de délibération politique et l’organe de décision suprême de l’administration provinciale spéciale. Ses fonctions et compétences sont similaires à celles du conseil municipal. Comme les conseillers municipaux, les conseillers provinciaux sont élus au suffrage universel direct, les deux scrutins ayant lieu le même jour. Les conseillers provinciaux sont élus pour représenter les districts de la province : un district de moins de 25 000 habitants élit deux conseillers, mais ce chiffre augmente progressivement pour atteindre cinq conseillers pour un district de moins de 100 000 habitants (des règles spécifiques s’appliquent pour une population supérieure).

 

ii. Le comité exécutif provincial

 

Le comité exécutif provincial est un organe « hybride », comme son équivalent municipal. Trois membres de ce comité sont élus par le conseil provincial général et trois autres sont nommés par le gouverneur qui, en outre, préside le comité. Le pouvoir exécutif de l’administration provinciale spéciale est partagé entre le gouverneur et le comité exécutif provincial. Le comité met en œuvre les résolutions du conseil provincial général. Il agit aussi en tant qu’organe de décision sur des questions telles que la vente et la mise en location de biens appartenant à l’administration provinciale spéciale et sur d’autres questions techniques.

 

iii. Le gouverneur

 

Le gouverneur (vali) tient une place centrale dans l’administration locale de l’État et joue le même rôle que le préfet français et ses équivalents d’autres pays ayant suivi ce modèle (le prefetto italien, le gobernador civil espagnol, etc.). Le gouverneur est nommé au moyen d’un décret présidentiel. Il représente non seulement l’État dans la province, mais il est aussi l’organe exécutif de l’administration provinciale spéciale. Il est à noter que, jusqu’en 2005, le gouverneur présidait en outre le conseil provincial général, mais depuis les amendements législatifs de cette année les conseillers provinciaux élisent un président du conseil parmi leurs membres.

 

Aujourd’hui, cependant, le gouverneur agit encore en tant que président du comité exécutif provincial. Aux termes de l’article 29 de la loi sur les administrations provinciales spéciales, le gouverneur est « le chef de l’administration provinciale spéciale et le représentant de son entité juridique ». 

 

Au vu du système en vigueur, l’article 3.2 de la Charte n’est que partiellement respecté pour ce qui concerne les administrations provinciales. L’assise démocratique des membres du conseil est indéniable. Cependant, le fait que le gouverneur est l’organe exécutif principal de l’administration provinciale spéciale et, en outre, le président du comité exécutif n’est pas compatible avec cette disposition de la Charte, puisque le gouverneur est un organe de l’administration centrale. Le système turc introduit ainsi une confusion subjective-organique entre l’administration centrale et l’administration locale, ce qui va à l’encontre de l’esprit de la Charte selon laquelle l’administration locale doit être distincte et différente de celle de l’État, ayant ses propres finalités, légitimités et dirigeants. 

 

De plus, le gouverneur est de iure le président de l’exécutif et ses décisions ne peuvent pas être annulées par le conseil. Dans les faits, le gouverneur est à la tête de la province, comme le prouvent les compétences qui lui sont attribuées par la législation (voir l’article 30 de la loi sur les administrations provinciales spéciales). Bien qu’il existe une forme de responsabilité du gouverneur devant le conseil, la possibilité d’une motion de censure n’est pas prévue, comme c’est le cas au niveau municipal entre le maire et le conseil. Le seul fait que le gouverneur (représentant de l’État) soit considéré comme un organe de l’administration provinciale brouille totalement la distinction nécessaire entre l’État et l’administration locale.

 

Les élections locales

 

En Turquie, les élections locales se tiennent tous les cinq ans. Les dernières élections locales ont eu lieu le 31 mars 2019, tandis qu’un nouveau scrutin local s’est tenu à Istanbul le 23 juin 2019 à la suite d’une décision très controversée du Conseil électoral suprême (YSK). 

Lors des élections locales de 2019, les Turcs étaient invités à élire divers responsables et représentants locaux :

a.    au niveau des provinces, les membres des conseils provinciaux  ;
b.    au « premier » niveau local, les maires  et les conseillers municipaux , selon le type de collectivité locale concernée :
c.    dans les grandes municipalités (« municipalités métropolitaines » telles qu’Ankara et Istanbul), les électeurs votaient pour l’élection du maire métropolitain, des maires des différentes « municipalités de district » (maires de district) et des membres des conseils des municipalités de district ; 
d.    dans les petites municipalités, les électeurs votaient uniquement pour l’élection du maire et du conseil municipal. Ils votaient aussi pour les « mukhtars » dans les quartiers et les villages.

 

Ces élections ont fait l’objet d’une mission d’observation du Congrès, suivie d’un rapport et d’un exposé des motifs décrivant en détail le déroulement des élections locales, l’administration électorale, le contexte politique et médiatique et la conformité avec le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise . En résumé, le Congrès a conclu que les élections avaient été organisées de manière très professionnelle et globalement démocratique, avec un taux de participation très élevé (84,6 %). Bien que le vote soit obligatoire en vertu de la loi, la violation de cette obligation n’est que rarement sanctionnée. Cela étant, le rapport notait aussi certaines insuffisances concernant l’impartialité de l’administration électorale : l’implication du Président de la République dans la campagne électorale (en sa qualité de dirigeant d’un parti politique et conformément à la législation turque), jugée excessive et inappropriée ; un climat d’absence de réelle liberté pour les médias ; le manque d’égalité des chances entre les candidats.

 

Outre les problèmes survenus à Istanbul, qui ont déjà été évoqués, d’autres incidents ont entaché les élections locales : des candidats appartenant au parti HDP ont été élus maires dans 65 municipalités du sud-est du pays, mais l’administration provinciale spéciale a refusé de délivrer à six des co-maires HDP (désignés officiellement) le « certificat » d’élection (mazbata) requis pour leur prise de fonction, au motif qu’ils ne remplissaient pas les conditions nécessaires, ayant été précédemment démis de leurs fonctions au moyen de décrets du gouvernement central pris dans le cadre de l’état d’urgence. Ce certificat a finalement été délivré aux candidats d’autres partis arrivés seconds aux élections, qu’ils n’avaient donc pas remportées.  

 

Ce refus de délivrer les certificats d’élection à des maires de l’opposition est évoqué dans les rapports, recommandations et résolutions du Congrès susmentionnés. En particulier, le Président du Congrès a fortement critiqué cette situation, qui porte atteinte au principe des élections équitables selon lequel les règles applicables avant le scrutin doivent aussi s’appliquer après. Le Congrès a déclaré en outre que les personnes dont la candidature avait été examinée par le Conseil électoral suprême lors de la période préélectorale et qui avaient été autorisées à se présenter aux élections devaient aussi disposer du droit effectif d’exercer leur mandat si elles étaient élues. 

 

Lors de la procédure de consultation, les représentants locaux ont indiqué qu’après la victoire du CHP aux élections locales dans certaines villes, les représentants du gouvernement (parti AK) ont tenté de diverses manières d’entraver le processus décisionnel des conseils municipaux concernés et de nuire à leur fonctionnement. Cette question a aussi été évoquée lors de la troisième partie de la visite (voir ci-dessous).

 

À titre d’exemple, la situation suivante a été signalée concernant la municipalité métropolitaine d’Ankara, où le CHP a remporté l’élection. D’après le maire d’Ankara, le maire dispose traditionnellement du pouvoir de révoquer et remplacer les administrateurs des entreprises municipales. Cependant, peu de temps après les élections locales, le ministère du Commerce a adopté une circulaire en vertu de laquelle ce pouvoir de révocation était retiré au maire et confié au conseil municipal, en violation des dispositions de la loi sur les municipalités. Il a également été indiqué que le maire avait lancé une procédure juridique visant la suspension et l’annulation de la circulaire. Bien que le 10e tribunal de commerce de première instance ait suspendu la mise en œuvre de la circulaire (décision n° 2019-499 du 14 juin 2019), le Conseil d’État n’a pas encore statué sur le fond. 

 

D’après les informations transmises par le HDP lors de la procédure de consultation, après les élections locales le ministère de l’Intérieur a révoqué 32 co-maires et les a remplacés par des « administrateurs du gouverneur », notamment dans les trois municipalités métropolitaines remportées par le parti HDP. Ce qui représente un total de 38 municipalités sur 65. De plus, 26 co-maires HDP ont été arrêtés, dont trois ont ensuite été libérés. Le HDP a souligné que depuis les élections locales 60 conseillers municipaux HDP et 7 conseillers provinciaux HDP avaient été révoqués et que 8 conseillers municipaux HDP avaient été arrêtés. Ces informations ont ensuite été actualisées après la troisième partie de la visite de suivi, en décembre 2021 (voir ci-dessous).

 

Participation citoyenne à la gouvernance municipale

 

La dernière phrase de l’article 3.2 de la Charte dispose que cette disposition ne porte pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là où elle est permise par la loi. À ce sujet, il est à noter que la Turquie n’a pas encore signé le Protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale sur le droit de participer aux affaires des collectivités locales du 16 novembre 2009 (SCTE n° 207). 

 

Cela étant, les lois qui régissent les différents types de collectivités locales incluent certaines dispositions à ce sujet. Tout d’abord, l’article 15 de la loi sur les municipalités dispose que « la municipalité peut réaliser un vote populaire ou des activités de consultation publique afin de connaître l’avis de la population ». Deuxièmement, les réunions des conseils municipaux sont publiques et librement accessibles aux citoyens et à la presse. De plus, certaines grandes villes (comme Istanbul) ont choisi de diffuser en direct les réunions du conseil municipal métropolitain, afin que les citoyens puissent avoir un accès immédiat à ses délibérations et décisions. Par ailleurs, les réunions des commissions du conseil municipal sont habituellement ouvertes aux organisations professionnelles concernées, aux organes de la société civile et aux représentants d’autres organisations. 

 

Troisièmement, il convient de mentionner les « assemblées citoyennes », telles qu’elles sont prévues par l’article 76 de la loi sur les municipalités . L’assemblée citoyenne est composée de représentants d’organisations professionnelles, d’organisations de la société civile, des universités et d’autres organisations publiques et syndicales. Elle peut soumettre des propositions au conseil municipal, lequel a l’obligation de les examiner. Elle joue par conséquent un rôle important dans la remontée des préoccupations de la population locale jusqu’au conseil, dans des domaines tels que la protection de l’environnement, les questions relatives aux femmes et à la jeunesse, l’intégration des personnes handicapées, etc.

 

Enfin, l’article 7 de la loi sur les administrations provinciales spéciales dispose que ces collectivités locales peuvent conduire des sondages et des enquêtes d’opinion afin de recueillir l’avis de la population sur leurs services.

 

A la lumière de ce qui précède, on peut conclure que l’article 3.2 est respecté en Turquie pour ce qui concerne les municipalités, mais qu’il ne l’est que partiellement dans le cas des administrations provinciales spéciales, pour les raisons susmentionnées relatives à la position du gouverneur dans l’organisation provinciale. Cependant, la pratique consistant à nommer des responsables non élus pour diriger une collectivité locale constitue un autre aspect problématique du point de vue de l’article 3.2 et elle sera examinée plus en détail dans la section 6 du présent rapport.
 

Article 4.1
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

Les compétences de base des collectivités locales sont fixées par la Constitution ou par la loi. Toutefois, cette disposition n'empêche pas l'attribution aux collectivités locales de compétences à des fins spécifiques, conformément à la loi


La Constitution turque n’énonce pas de compétences spécifiques des collectivités locales. Par conséquent, ces compétences sont précisées ou codifiées dans les lois générales sur la gouvernance locale, ainsi que dans la législation administrative sectorielle.

 

Municipalités

 

L’article 15 de la loi sur les municipalités inclut une longue liste de compétences et responsabilités des municipalités, dont les principales sont les suivantes : 

-    publier les réglementations, délivrer des ordonnances et imposer des pénalités et des sanctions administratives ;
-    délivrer les permis et licences ;
-    définir, évaluer et collecter les taxes, droits et redevances dus à la municipalité ;
-    assurer l’approvisionnement en eau à usage domestique et industriel ; assurer l’évacuation des eaux usées et eaux de pluie ; construire et gérer des structures à cette fin
-    mettre en place et administrer tous types de transports publics, notamment les services de bus, les transports maritimes et fluviaux et la construction de tunnels et d’infrastructures ferroviaires ;
-    assurer toutes sortes de services liés à la collecte, au transport, à l’élimination et au stockage des déchets solides ;
-    acquérir des biens immobiliers, procéder aux expropriations et autres opérations immobilières ;
-    contracter des emprunts et recevoir des donations ;
-    mettre en place et gérer des marchés, des terminaux routiers, des centres d’exposition, des abattoirs, des ports de plaisance et des quais conformément à la législation pertinente ;
-    délivrer des autorisations pour les lieux de villégiature et de loisirs publics et conduire des inspections de tels lieux ;
-    réglementer le commerce de rue et confisquer les aliments illégaux ;
-    inspecter les lieux de travail et superviser la santé publique et l’environnement à l’échelle de la municipalité ;
-    lutter contre la pollution environnementale ;
-    nettoyer les rues et les lieux publics; réglementer et contrôler le transit de véhicules ; 
-    approuver les plans d’aménagement du territoire et superviser les bâtiments et les opérations d’aménagement ;
-    mettre en place des services de lutte contre les incendies. 

 

(A)    Municipalités métropolitaines

 

Les municipalités métropolitaines exercent, outre les compétences des municipalités ordinaires, des compétences additionnelles en fonction de leur population et de leur superficie. En résumé, les municipalités métropolitaines : 

-    approuvent les plans d’aménagement du territoire (échelle 1/1 000) établis par les districts ;
-    préparent les plans d’aménagement d’échelle territoriale supérieure (1/5 000 à 1/25 000) ;
-    contrôlent la conformité des plans d’aménagement du territoire approuvés par le district avec les plans approuvés par les municipalités métropolitaines ; 
-    organisent les parcelles de terrain et l’habitat de manière à garantir une urbanisation adéquate ;
-    construisent les infrastructures nécessaires pour l’industrie et le commerce ;
-    conçoivent les plans-cadres des transports métropolitains et gèrent les transports publics ;
-    aménagent les places, les boulevards, les avenues et les routes principales ;
-    protègent et développent l’environnement, les terrains agricoles et les plans d’eau de la ville ;
-    organisent les services de police municipale ; 
-    recyclent et stockent les déchets solides ;
-    assurent les services d’approvisionnement en eau et d’évacuation des eaux usées ;
-    construisent les lieux de stationnement ouverts et fermés ;
-    aménagent des parcs régionaux, des zoos, des musées et des structures sportives et de loisirs ;
-    aménagent des cimetières, des marchés alimentaires de gros et des abattoirs ;
-    assurent des services de lutte contre les incendies et d’urgences ;
-    construisent et entretiennent les grandes infrastructures d’approvisionnement en gaz et en eau.

 

(B)    Administrations provinciales spéciales

 

Comme on l’a vu, les compétences exercées par les administrations provinciales peuvent être classées en deux catégories, conformément au caractère dual spécifique à ces collectivités locales de deuxième niveau. Premièrement, elles exercent certaines compétences à l’échelle du territoire de la province, parmi lesquelles :

-    construire, entretenir et réparer les écoles primaires et secondaires et les centres culturels ;
-    mettre en place des services de médecine préventive et des services sociaux ; encourager le développement de l’industrie et du commerce ;
-    construire des infrastructures pour les activités sportives amateur ;
-    développer l’agriculture ;
-    exécuter les investissements du pouvoir central pour lesquels des dotations leur sont transférées.

 

Par ailleurs, les administrations provinciales spéciales exercent certaines autres compétences uniquement sur les territoires extérieurs aux municipalités (« zones rurales »). Ces compétences sont donc assurées dans les villages et dans l’intérêt de la population de ces derniers. On pourrait dire que les provinces se substituent aux villages pour l’exercice de ces compétences, du fait que les villages manquent des ressources techniques et financières pour s’en acquitter. Ces compétences sont notamment les suivantes : 

-    réaliser les plans d’aménagement du territoire à petite échelle ;
-    délivrer les permis de construire et superviser les constructions ;
-    délivrer les licences professionnelles ;
-    construire, entretenir et réparer les routes des villages ;
-    collecter, stocker et éliminer les déchets ;
-    protéger l’environnement et les sols ;
-    lutter contre la pauvreté.

 

Lors des deux premières parties de la visite de suivi, la délégation a demandé aux divers représentants locaux s’ils étaient satisfaits du nombre et de l’importance des compétences attribuées aux collectivités locales. En règle générale, tel semblait être le cas, et aucun n’a exprimé le souhait d’exercer ou d’obtenir davantage de compétences. Leur inquiétude portait davantage sur le fait de recevoir un financement suffisant pour leurs compétences actuelles. Lors de la troisième partie de la visite en Turquie, la délégation a demandé si, au cours des deux dernières années, il y avait eu des changements notables dans ce domaine. Comme sur d’autres sujets, les rapporteurs ont recueilli des informations contradictoires. Par exemple, les membres de la délégation nationale turque ont indiqué que deux dispositions législatives avaient été adoptées, donnant plus de compétences et d’autorité aux municipalités métropolitaines. Aux termes de ces amendements, les municipalités ont reçu la responsabilité de la planification, la création et l’entretien des pistes et voies cyclables. Les municipalités métropolitaines sont maintenant responsables de l’inclusion de ces travaux publics dans les programmes d’action municipaux. Un point de vue différent a été exprimé par certains représentants locaux, qui se sont plaints qu’après les élections de 2019 le gouvernement central a pris plusieurs initiatives législatives et réglementaires destinées à réduire les compétences des municipalités métropolitaines ou celles des maires. Par exemple, ils ont indiqué que certaines des compétences d’urbanisme des municipalités avaient été attribuées au gouvernement central en modifiant environ 34 articles d’une dizaine de textes législatifs différents. D’autres exemples, concernant les municipalités métropolitaines, ont été fournis. Le premier concerne les Centres de coordination des transports (UKOME), qui sont compétentes pour prendre des décisions sur les systèmes de transports urbains, les aires de stationnement, les plans de circulation urbaine, etc. Dans ce cadre, les Centres de coordination sont dirigés par les maires. Aux termes des réglementations antérieures, les UKOME comptaient onze membres des municipalités métropolitaines, dix membres des institutions publiques et un membre de la Fédération turque des conducteurs et propriétaires de véhicules commerciaux. Cependant, depuis l’amendement apporté à la réglementation en février 2020 , les membres du ministère de l’Éducation nationale, du ministère de la Famille, du Travail et des Services sociaux et du ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme ont été inclus en tant que représentants publics au sein du conseil directeur des UKOME. La modification du nombre de membres des UKOME entraîne, d’après ces interlocuteurs, que des municipalités métropolitaines comme Ankara ou Istanbul n’auront plus aucun pouvoir d’initiative sur les décisions relatives aux transports dans les villes métropolitaines. Bien que le maire métropolitain soit le président de ces organes, la majorité au sein de celui d’Istanbul (et la situation est le plus souvent la même dans les autres municipalités dirigées par l’opposition) appartient à des représentants de l’administration central, et les maires se sont plaints d’un blocage de la prise de décision. Un dernier exemple concerne les compétences des maires dans le domaine du personnel des collectivités locales. D’après ces interlocuteurs, le maire assurait traditionnellement un contrôle disciplinaire du personnel municipal. Cependant, après les élections locales de 2019, ce pouvoir a été transféré au Haut Conseil disciplinaire du ministère de l’Intérieur.

 

Compte tenu de ce qui précède, on peut conclure que la situation en Turquie est conforme à l’article 4.1 de la Charte. 

Article 4.2
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

Les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité


La législation turque ne comporte apparemment pas de disposition énonçant clairement une « clause de compétence générale ». Toutefois, l’article 15 de la loi de 2005 sur les municipalités inclut une longue liste de compétences et responsabilités des municipalités, dont la première est « de mettre en œuvre tous les types d’activités et de projets nécessaires pour répondre aux besoins collectifs de la population locale ». Cette disposition semble exprimer une forme atténuée du principe énoncé à l’article 4.2 de la Charte. Aucune disposition similaire, cependant, n’existe dans la loi sur les administrations provinciales spéciales ou la loi sur les municipalités métropolitaines.

 

Compte tenu des considérations ci-dessus, on peut conclure que l’article 4.2 de la Charte est respecté en Turquie. 

Article 4.3
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d'efficacité et d'économie.

 


Comme indiqué précédemment, la Constitution turque dispose dans son article 127 que « la création, les fonctions et les attributions de ces collectivités sont réglementées par la loi conformément au principe de l’administration locale » (Mahallî idarelerin kuruluÅŸ ve görevleri ile yetkileri, yerinden yönetim ilkesine uygun olarak kanunla düzenlenir). Ce principe étant énoncé dans la Constitution, et à la valeur et l’importance d’une disposition constitutionnelle.

 

Par conséquent, l’attribution de responsabilités et de compétences respecte effectivement cette disposition, au sens où des compétences telles que l’aménagement du territoire et l’offre des services publics essentiels sont exercées par les collectivités locales, à des échelles variables selon le type de collectivité locale concernée. De plus, chaque type de collectivité locale exerce des compétences et responsabilités différentes et assure des services eux aussi différents, en fonction de sa taille et de ses ressources. 

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs concluent que l’article 4.3 de la Charte est respecté en Turquie.

Article 4.4
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

Les compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières. Elles ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que dans le cadre de la loi.

 


Comme déjà mentionné, les collectivités locales de Turquie exercent un nombre notable de compétences et de responsabilités. En théorie, ces compétences sont pleines et entières au sens de la Charte, puisqu’elles sont décrites comme telles dans les législations respectives sur l’administration locale. Cependant, nos interlocuteurs locaux ont formulé des plaintes diverses eu égard à l’exercice libre ou « plein » de leurs compétences, portant sur les phénomènes suivants :
 
-    (a) la surrèglementation par le pouvoir central ;
-    (b) le contrôle ou l’interventionnisme excessifs de l’État dans les décisions de planification ; 
-    (c) le trop grand nombre d’inspections ;
-    (d) la tutelle administrative excessive.
La plupart de ces points seront examinés plus en détail dans les diverses parties du présent rapport. 

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs estiment que l’article 4.4 de la Charte n’est pas respecté en Turquie. 

Article 4.5
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

En cas de délégation des pouvoirs par une autorité centrale ou régionale, les collectivités locales doivent jouir, autant qu'il est possible, de la liberté d'adapter leur exercice aux conditions locales.


Dans l’ordre constitutionnel de la Turquie, la seule possibilité de délégation de compétences (au sens propre du terme) entre différents niveaux d’autorité concerne le pouvoir central et les collectivités locales. Cependant, les principaux textes législatifs relatifs aux différents types de collectivités locales (municipalités « ordinaires », municipalités métropolitaines et administrations provinciales spéciales) ne réglementent pas la pratique de délégation de compétences de l’État vers les collectivités locales. Il semble qu’une telle délégation ne soit pas une pratique courante en Turquie, et que l’État ne délègue pas de tâches ou de compétences aux collectivités locales. Par conséquent, les collectivités locales exercent leurs compétences propres (telles qu’énoncées dans la législation pertinente) en tant que compétences « originelles » et non en tant que compétences « déléguées ». 

 

Par conséquent, compte tenu de l’usage très limité de cette pratique, rien ne permet de se prononcer sur le respect ou non de cette disposition de la Charte par la Turquie.

Article 4.6
Portée de l'autonomie locale - Non ratifié

Les collectivités locales doivent être consultées, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement.

 


Il doit être précisé d’emblée que la Turquie n’a pas inclus l’article 4.6 de la Charte parmi les dispositions qu’elle a ratifiées. Elle n’est donc pas liée par cette disposition. Cela étant, dans un souci d’exhaustivité, cet aspect de l’administration locale doit aussi être évoqué. 

 

Dans le système de gouvernement de la Turquie, aucune instance, aucun organe administratif ni aucune commission bilatérale n’a été établi spécifiquement pour la consultation avec les collectivités locales et pour leur permettre de participer à la prise de décisions des organes de l’État sur les questions qui les concernent. De plus, les lois relatives aux différents types de collectivités locales (municipalités ordinaires, municipalités métropolitaines et administrations provinciales spéciales) n’évoquent pas la question de la consultation ou de la négociation entre différents niveaux d’autorité publique, que ce soit au sens fonctionnel ou organique du terme.

 

Les rapporteurs, cependant, ont noté qu’il existe dans les faits une forme de consultation, que les collectivités locales sont consultées par les organes et instances de l’État et que les collectivités locales ont la possibilité de transmettre leurs messages aux responsables de l’État. Différents exemples ont été fournis. Notamment, peu de temps avant la mission, en 2019, le Président de la République a rencontré les maires des 30 municipalités métropolitaines et les a invités à formuler des propositions de textes ou d’amendements législatifs ; autre exemple, le Président de la République reçoit chaque année une délégation des mukhtars de Turquie, qui à cette occasion peuvent remettre ou appuyer des demandes et faire part de leurs préoccupations. Lors de la procédure de consultation, l’Union des municipalités de Turquie a rappelé que les ministères comptent de nombreux comités thématiques prévus par la loi, qui sont autorisés à consulter divers acteurs (dont les municipalités) au sujet des projets de lois et de réglementations et que l’Union des municipalités y est largement représentée.

 

Par ailleurs, des responsables du ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme (le principal organe gouvernemental en charge des collectivités locales) ont déclaré qu’ils entretenaient des contacts et des échanges fréquents et fluides avec l’association nationale des pouvoirs locaux, notamment au sujet de nouvelles lois ou réglementations ayant trait aux collectivités locales. Les représentants de l’Union des municipalités de Turquie ont indiqué également qu’ils sont associés à l’élaboration des lois sur les questions qui concernent les collectivités locales et que certains maires fournissent des informations et des commentaires au gouvernement lorsque cela est nécessaire. Ils ont ajouté que l’association nationale publie chaque année un rapport sur les collectivités locales et que le pouvoir central accorde une grande attention à ce document afin de régler les problèmes ou les dysfonctionnements constatés au niveau local. Le gouvernement central, a-t-il été indiqué à la délégation, répond le plus souvent favorablement à ces considérations ou préoccupations.

 

Par conséquent, il semble exister de fait un certain modèle de consultation politique ou d’échange réciproque d’informations et d’opinions entre les acteurs centraux et locaux, mais la consultation n’est pas inscrite dans la loi et n’est pas une obligation pour l’État. 

 

Lors de la procédure de consultation, le ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme a indiqué que la procédure applicable à la consultation et les modalités de l’élaboration des projets de lois sont définies dans le « Règlement sur les principes et procédures de l’élaboration des lois », sur lequel tous les organes gouvernementaux doivent s’appuyer pour élaborer des projets de lois. Le ministère a souligné que ce Règlement exige que les avis des administrations locales, des universités, des syndicats, des organes professionnels reconnus comme des organismes publics et des organisations de la société civile soient sollicités avant que le projet de texte soit soumis à la Présidence, que ces vues soient communiquées dans un délai de 30 jours et, si le projet confie des responsabilités à des ministères ou d’autres organes publics, que les commentaires de ces parties soient aussi sollicités et que le projet de loi soit élaboré conjointement. Le ministère a aussi souligné que l’avis de l’Union des municipalités de Turquie, dont toutes les municipalités sont membres, et de divers organismes publics doit être recueilli pour toutes les initiatives portant sur des lois ou réglementations relatives aux administrations locales et que, lorsque les projets de lois sont examinés par les commissions compétentes de la Grande Assemblée nationale avant d’être présentés en session plénière, l’avis des représentants de l’Union est aussi sollicité afin qu’il puisse être intégré dans ces documents.

 

Les rapporteurs maintiennent qu’aucune disposition légale n’établit une obligation de consultation des collectivités locales et qu’il n’existe pas de mécanisme institutionnel. Il semble en outre que le modèle des consultations « informelles » soit influencé par des considérations politiques, telles que l’affinité politique entre les partis à la tête des collectivités locales et des institutions centrales. Dans une lecture contextuelle de la Charte, cette situation de fait est assurément positive, mais elle n’est pas suffisante pour remplir les exigences énoncées à l’article 4.6, qui requiert davantage en termes d’institutionnalisation ainsi qu’une obligation de dialogue entre les différents niveaux d’autorité.

 

Compte tenu de ce qui précède, et quoique la Turquie ne soit pas liée par cette disposition, les rapporteurs estiment que les exigences énoncées à l’article 4.6 de la Charte ne sont pas respectées dans la situation actuelle des collectivités locales de Turquie. 

Article 5
Protection des limites territoriales des collectivités locales - Article ratifié

Pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet.


La définition et les modifications des limites territoriales des collectivités locales sont régies par la législation relative aux différents types de collectivités locales. Ainsi, les articles 4 et suivants de la loi de 2005 sur les municipalités énoncent plusieurs règles, principes et procédures dans ce domaine. Aux fins du présent rapport, la question est de savoir s’il y a une « consultation » avec les communes concernées. Sur ce point, l’article 8 de la loi réglemente les fusions et « unifications » volontaires de villes et de villages. Dans ces situations, un vote positif des citoyens est requis, et la fusion a lieu si le conseil municipal le juge opportun. Les unifications et les fusions dans les municipalités métropolitaines doivent être décidées au sein du conseil municipal métropolitain, en tenant compte de l’avis du conseil municipal de district ou de premier niveau concernant l’absorption au sein d’une ville. Par conséquent, la législation turque prévoit explicitement la modification des limites territoriales des collectivités locales conformément à la volonté des populations locales.

 

Toutefois, l’article 5 de la Charte porte sur un autre type de modifications des limites territoriales, à savoir celles qui sont décidées par des administrations « supérieures », c’est-à-dire des autorités régionales ou (plus fréquemment) nationales. À ce sujet, notons qu’au cours des dernières décennies la Turquie a connu une stratégie et un programme de grande ampleur sur la restructuration des collectivités locales. Ce processus a inévitablement impliqué la modification des limites territoriales des collectivités locales antérieures, qui ont été transformées ou fusionnées de manière exécutive au moyen de programmes, de lois et de décisions des autorités et organes de l’État. De plus, certaines collectivités locales ont été supprimées, comme les villages des municipalités métropolitaines (voir ci-dessus). 

 

Ainsi, la structure territoriale et la répartition géographique actuelles des collectivités locales de Turquie sont le résultat de processus successifs de fusions de municipalités et de réorganisations des collectivités locales. Plusieurs faits sont à souligner à cet égard : 

-    en 2014, les administrations provinciales spéciales ont été supprimées dans plusieurs provinces. 
-    en vertu de la loi n° 6360, les belde (« municipalités urbaines ») situées dans des « municipalités métropolitaines » (anciennes provinces) ont été abolis le 30 mars 2014. 
-    la création des municipalités métropolitaines en 2014 a entraîné la disparition de nombreuses petites municipalités et la transformation de leurs quartiers. Les petites villes ont été dissoutes ou supprimées.
-    tandis que le nombre des municipalités était de 3 225 en 2002, dix ans plus tard plus de la moitié d’entre elles avaient été supprimées, ce qui a ramené leur nombre à 1 397 (chiffres de 2013). Par conséquent, quelque 1 800 collectivités locales ont ainsi été supprimées en une dizaine d’années.

 

Ces fusions, dissolutions et réorganisations massives ont été menées au moyen de textes législatifs passés par le Parlement, sur la base d’arguments raisonnables tels que l’efficience, la rationalité et le déploiement des ressources. Cependant, et d’après les déclarations des responsables locaux rencontrés par la délégation, ces changements et réformes ont été menés sans consulter les collectivités locales concernées. Ni la population, ni les conseils municipaux, ni les maires n’ont été consultés ; ils n’ont pas davantage eu la possibilité d’avoir une négociation concernant ces mesures. Certaines villes voulaient même devenir des districts, mais ce souhait a été ignoré et elles ont été transformées en simples quartiers. À ce sujet, certains interlocuteurs de la délégation ont affirmé que ces réformes territoriales avaient parfois été menées dans le seul but de réaliser ce qu’ils considèrent comme une forme de « découpage abusif des circonscriptions » , une allégation que la délégation ne peut que reproduire ici. Dans tous les cas, à l’heure actuelle, aucune autre restructuration des collectivités locales de Turquie n’est prévue, comme cela a été confirmé lors des trois parties de la visite.

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs constatent ici une violation de l’article 5 de la Charte en Turquie. 

Article 6.1
Adéquation des structures et des moyens administratifs aux missions des collectivités locales - Non ratifié

Sans préjudice de dispositions plus générales créées par la loi, les collectivités locales doivent pouvoir définir elles mêmes les structures administratives internes dont elles entendent se doter, en vue de les adapter à leurs besoins spécifiques et afin de permettre une gestion efficace.


Bien que la Turquie n’ait pas inclus l’article 6.1 parmi les dispositions de la Charte qu’elle a ratifiées et par lesquelles elle est liée, dans un souci d’exhaustivité cet aspect de l’administration locale doit aussi être évoqué.

 

En Turquie, les collectivités locales disposent d’une capacité – quoique limitée – à déterminer leurs propres structures administratives internes. L’article 48 de la loi n° 5393 sur les municipalités dispose ce qui suit : « L’organisation des municipalités se compose du service de rédaction, des services financiers, du département des travaux publics et des unités de police municipale, conformément aux normes relatives aux conditions d’emploi. Si nécessaire et en prenant en considération la population, la structure physique et géographique, les caractéristiques économiques, sociales et culturelles de la municipalité et ses possibilités de développement, des services de santé, de lutte contre l’incendie, d’aménagement (occupation des sols), de ressources humaines, des questions juridiques et, selon les besoins, d’autres services peuvent être constitués, conformément aux principes et normes relatifs aux conditions d’emploi. Ces services sont créés, dissous ou fusionnés sur décision du conseil municipal ».

 

De l’avis des rapporteurs, la législation nationale, en réglementant de manière aussi détaillée et presque exhaustive les organes et les structures administratives de ces collectivités, remplit son objectif d’établir une homogénéité et une uniformité maximales à l’échelle du pays, mais au prix d’une surrèglementation et en réduisant excessivement la marge de manœuvre organisationnelle des collectivités locales.

 

Dans le cas des municipalités ordinaires, seul le conseil est considéré comme ayant des pouvoirs limités en matière de formation de « comités spécifiques » (voir l’article 24 de la loi sur les municipalités) en son sein, mais là encore la législation nationale ne laisse que peu de marge de liberté pour des décisions « ad hoc » sur l’organisation, puisqu’elle détermine même les effectifs minimums et maximums de ces comités, la durée de leur mandat et le domaine de leurs activités. Des règles spécifiques s’appliquent aux comités d’audit (article 25 de la loi sur les municipalités). Des dispositions similaires figurent dans la loi sur les administrations provinciales spéciales (article 16), avec les mêmes restrictions réglementaires. 

 

Cette capacité limitée d’auto-organisation ne satisfait pas aux exigences de l’article 6.1 de la Charte. Compte tenu de ce qui précède, et quoique la Turquie ne soit pas liée par cette disposition, les rapporteurs estiment que la situation en Turquie n’est pas conforme à l’article 6.1 de la Charte.

Article 6.2
Adéquation des structures et des moyens administratifs aux missions des collectivités locales - Article ratifié

Le statut du personnel des collectivités locales doit permettre un recrutement de qualité, fondé sur les principes du mérite et de la compétence; à cette fin, il doit réunir des conditions adéquates de formation, de rémunération et de perspectives de carrière.


Le nombre des employés de collectivités locales est relativement faible en Turquie : il ne représente que 13 %  du nombre total des agents publics du pays, soit un des pourcentages les plus faibles de l’OCDE. La comparaison de ce chiffre avec celui des pays dotés d’un secteur local très développé peut conduire à porter un jugement négatif sur la taille relative de l’administration locale turque.

 

Il n’y a pas de législation spécifique pour les fonctionnaires et autres employés travaillant pour les municipalités : ils sont employés conformément à la législation spécifique à leur statut, c’est-à-dire la loi sur les fonctionnaires et le Code du travail. Dans une large mesure, le statut des employés des collectivités locales est réglementé de manière relativement détaillée par des lois et réglementations nationales.

 

Premièrement, les lois relatives aux différents types de collectivités locales établissent des règles de base concernant les agents locaux. La place des employés municipaux dans l’organigramme de la commune est définie dans la loi sur les communes (articles 48-49) ou dans la structure des administrations provinciales spéciales (article 35, loi n° 5302 de 2005). Les municipalités métropolitaines ont une fonction spécifique, celle de « secrétaire général ». Il s’agit de la plus haute fonction professionnelle de l’organisation municipale. Le secrétaire général peut avoir des adjoints. Les entités relevant du secrétaire général ou directeur général sont créées sous la forme de « départements » ou de « services », dont chacun possède un directeur placé sous l’autorité du secrétaire général. Dans le cas des entreprises dépendant de la municipalité (comme pour l’approvisionnement en eau, l’évacuation des eaux usées et les transports), la fonction la plus haute est celle de directeur général. Cependant, dans les municipalités non métropolitaines la fonction de secrétaire général n’existe pas et les différents services sont placés par le maire sous l’autorité de ses adjoints. 

 

Les règlementations relatives au personnel sont principalement établies au niveau national, une fois encore dans l’objectif de réaliser une homogénéité et une uniformité maximales à l’échelle du pays. Par exemple, la loi sur les municipalités plafonne les dépenses de personnel, qui ne peuvent pas dépasser 30 % du budget municipal. En cas de dépassement de ce plafond, la municipalité ne peut pas recruter d’autres agents. De plus, la législation nationale réglemente aussi les différentes catégories de personnel que les municipalités peuvent employer : les fonctionnaires, les personnels contractuels et les autres employés. Les fonctionnaires sont majoritairement affectés à des emplois de cadres. Lorsqu’une municipalité n’a pas de personnel qualifié pour des fonctions telles que celles d’architecte, d’ingénieur et de juriste, elle peut recruter sur la base d’un contrat à durée déterminée. De plus, les municipalités peuvent recruter des employés d’entreprises privées, sous la forme d’un détachement. Le recrutement et la rémunération des cadres, des agents techniques et des personnels de bureau de la municipalité sont régis par la loi sur les fonctionnaires, qui est un texte de portée nationale. Un sujet de critique tient au fait que l’emploi des personnels locaux ne serait semble-t-il pas aussi stable que ce qui serait souhaitable, certains interlocuteurs ayant affirmé qu’il était fréquent que le maire, après une élection locale, licencie une partie du personnel (titulaires de contrats temporaires) et recrute des personnes qui ont sa confiance ou un lien avec lui.

 

La délégation n’a pas entendu de réclamations selon lesquelles le statut des agents publics locaux ne serait pas satisfaisant. Ses interlocuteurs ont davantage déploré le fait que les lois et réglementations nationales laissent aux collectivités locales une marge de manœuvre trop étroite pour définir leur propre politique du personnel et décider des rémunérations, des perspectives de carrière et des mesures d’incitation. Une autre limitation de leur liberté découle du fait que, en cas de vacance d’un nouveau poste de fonctionnaire dans une municipalité, la collectivité locale ne peut pas pourvoir le poste de sa propre initiative, mais doit s’adresser à l’administration centrale. Les ministères centraux organisent périodiquement des concours de recrutement pour la fonction publique (examens de sélection d’agents publics (KPSS)), et les candidats reçus sont inscrits sur une liste de réserve valable pendant deux ans. Ensuite, lorsqu’une municipalité « demande » un candidat approprié pour pourvoir un poste vacant, elle indique les conditions de recrutement et la note minimale au KPSS et le ministère adresse à la municipalité une liste de candidats figurant déjà dans cette liste de réserve, classés selon la note obtenue. La collectivité locale doit choisir parmi les candidats présélectionnés . Cette procédure a suscité des critiques, de même que la limitation excessivement stricte des dépenses de personnel, qui ne permet pas aux responsables locaux d’adapter ces dépenses aux besoins réels de la collectivité locale. 

 

Aussi importants que puissent être ces aspects du point de vue de l’autonomie, ils ne sont pas couverts par l’article 6.2 de la Charte, puisque cette disposition porte exclusivement sur la qualité ou l’adéquation « objective » du statut du personnel des collectivités locales.

 

Pour ces raisons, les rapporteurs estiment que l’article 6.2 de la Charte est respecté en Turquie, mais que les collectivités locales devraient se voir accorder une plus grande autonomie pour la gestion de leurs propres ressources humaines.

Article 7.1
Conditions de l'exercice des responsabilités au niveau local - Article ratifié

Le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat.


L’article 7.1 de la Charte dispose que « le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat ». Il s’agit d’une disposition relativement vague, qui permet diverses interprétations, notamment pour le terme « libre exercice » de leur mandat. Selon une interprétation moderne, il est considéré que les responsables locaux doivent agir dans un cadre juridique et social exempt de pressions injustifiées ou de menaces pour l’indépendance de leur prise de décisions. Ces pressions peuvent provenir de sources et de situations diverses et peuvent être assimilables à un harcèlement de la part des médias ou du pouvoir central. 

 

De ce point de vue, la Turquie présente une situation peu satisfaisante, qui s’est hélas banalisée ces dernières années : il est devenu fréquent que des maires et des conseillers municipaux soient suspendus de leurs fonctions sur décision des autorités de l’État lorsqu’un certain type d’enquête, notamment pour des infractions liées au terrorisme ou commises dans le cadre de l’activité professionnelle , est ouverte à leur encontre. Cette situation n’est pas satisfaisante en raison du recours systématique à une mesure qui, du point de vue de la démocratie locale, devrait rester l’exception. 

 

Cette situation a pris des proportions inquiétantes et suscité une attention étroite du Conseil de l’Europe dans son ensemble  et, plus spécifiquement, du Congrès. En 2007, le rapport d’une mission d’enquête du Congrès examinait la situation des municipalités de Sur et Diyarbakir et la révocation de leurs maires respectifs ; cette situation a aussi été examinée attentivement par la mission de suivi menée en 2011 . En février 2016, le Bureau du Congrès a demandé à ses rapporteurs sur la Turquie d’effectuer une nouvelle mission d’enquête sur la détention et la révocation d’un nombre croissant de maires et conseillers municipaux élus. Au même moment, de nouvelles mesures introduites dans le cadre de l’état d’urgence ont eu pour résultat que des dizaines d’autres élus locaux ont été placés en détention provisoire et remplacés par des personnes nommées par les autorités centrales. Cette mission d’enquête a donné lieu à la Résolution 416(2017) et la Recommandation 397(2017)  du Congrès. 

 

Cette situation, malheureusement, reste d’actualité et sera examinée plus en détail dans la section 6 ci-dessous. 

 

Compte tenu des considérations ci-dessus et de celles de la section 6 ci-dessous, la délégation estime que l’article 7.1 de la Charte n’est pas respecté en Turquie.

Article 7.3
Conditions de l'exercice des responsabilités au niveau local - Non ratifié

Les fonctions et activités incompatibles avec le mandat d'élu local ne peuvent être fixées que par la loi ou par des principes juridiques fondamentaux.


Il doit être relevé que la Turquie n’a pas ratifié l’article 7.3 de la Charte. Toutefois, même si la Turquie n’est pas liée par cette disposition, celle-ci mérite cependant d’être évoquée, dans un souci d’exhaustivité. 

 

Les lois et réglementations nationales relatives aux différents types de collectivités locales recensent les fonctions et activités jugées incompatibles avec l’exercice d’un mandat électif local. Leur liste est claire pour ce qui concerne les maires. Par exemple, l’article 17 de la loi sur les municipalités métropolitaines (loi n° 5216 de 2004) dispose que « pendant leur mandat, les maires métropolitains ou les maires de district et des municipalités de premier niveau des zones métropolitaines ne peuvent siéger au sein d’organe exécutifs ou de contrôle d’un parti politique, ni être présidents ou dirigeants de clubs sportifs professionnels ». L’article 37 de la loi sur les municipalités inclut une disposition analogue : le maire ne peut pas être membre d’organes dirigeants ou d’audit d’un parti politique pendant son mandat ; il ne peut pas non plus être nommé dirigeant d’un club sportif professionnel ni prendre part à la gestion d’un tel club. Ces deux lois, par conséquent, incluent une disposition remarquable concernant les clubs sportifs. 

 

D’autres textes législatifs interdisent aux maires d’exercer certaines autres activités : par exemple, ils ne peuvent exercer la fonction de député ni aucun autre mandat public. 

 

Les activités incompatibles avec l’exercice de la fonction de maire ou de maire-adjoint ou avec celle de membre du comité exécutif sont clairement réglementées, du fait qu’il s’agit de mandats locaux exercés à plein temps. Pour ce qui concerne les conseillers municipaux, ces activités ne sont pas réglementées par la loi, ce qui est compréhensible puisqu’ils n’exercent ce mandat que lorsqu’ils assistent aux séances du conseil et ne sont pas des responsables politiques de métier.

 

Compte tenu de ce qui précède, la délégation estime que l’article 7.3 de la Charte est respecté en Turquie. 

Article 7.2
Conditions de l'exercice des responsabilités au niveau local - Article ratifié

Il doit permettre la compensation financière adéquate des frais entraînés par l'exercice du mandat ainsi que, le cas échéant, la compensation financière des gains perdus ou une rémunération du travail accompli et une couverture sociale correspondante.


La rémunération des élus locaux est réglementée, comme de nombreux autres aspects, par les lois et réglementations nationales relatives aux différents types de collectivités locales. Selon ces normes, les conseillers municipaux sont rémunérés sur le budget municipal pour les réunions auxquelles ils participent (jetons de présence). Le montant de ces indemnités est égal au tiers de celles qui sont versées au maire. Les conseillers sont aussi remboursés de leurs frais de voyage pour tout déplacement officiel hors de la municipalité. Pour leur part, les maires et leurs adjoints reçoivent une rémunération mensuelle établie dans la législation nationale et calculée d’après la population de la collectivité locale. 

 

Le comité exécutif municipal se réunit au moins une fois par semaine pour débattre d’un ordre du jour établi par le maire. Le président et les membres de ce comité reçoivent aussi une indemnité mensuelle, déterminée par des lois et réglementations nationales. Par exemple, l’article 16 de la loi sur les municipalités métropolitaines (loi n° 5216 de 2004) prévoit pour les titulaires de ces postes le versement d’une indemnité mensuelle brute « dont le montant est le produit du coefficient mensuel appliqué aux fonctionnaires et d’un indice de 12 000 » ; cependant, les fonctionnaires qui sont aussi membres du comité exécutif ne reçoivent que la moitié de ce montant. L’article 36 de la loi sur les municipalités énonce des dispositions analogues pour les municipalités « ordinaires ». 

 

La délégation a évoqué spécifiquement la question des rémunérations des élus locaux mais n’a entendu de leur part aucune plainte à ce sujet, et les maires rencontrés lors des visites se sont en règle générale déclarés heureux de leurs salaires.  

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs estiment que l’article 7.2 de la Charte est respecté en Turquie. 

Article 8.1
Contrôle administratif des actes des collectivités locales - Article ratifié

Tout contrôle administratif sur les collectivités locales ne peut être exercé que selon les formes et dans les cas prévus par la Constitution ou par la loi.


Le système turc d’administration locale prévoit de nombreux exemples de supervision ou de contrôle par l’administration centrale. La possibilité pour les autorités, organes et ministères centraux de contrôler et surveiller les activités des collectivités locales est profondément ancrée dans la tradition politique du pays et la plupart des responsables locaux rencontrés par la délégation n’ont pas contesté cet aspect du système turc d’administration locale, du moins sur le principe. D’ailleurs, ce modèle, connu en Turquie sous l’appellation « tutelle administrative », est prévu expressément dans la Constitution : « L’administration centrale a le droit d’exercer une tutelle administrative sur les administrations locales dans le cadre des principes et modalités définis par la loi, en vue d’assurer l’accomplissement des services locaux conformément au principe d’unité de l’administration, la cohésion au sein des services publics et la sauvegarde de l’intérêt général et de veiller à ce que les besoins locaux soient satisfaits d’une manière appropriée » (article 127). Ainsi, la décentralisation et la tutelle sont inscrites dans la même disposition constitutionnelle, de manière à souligner que la tutelle administrative est une forme de contrepoids à la décentralisation et à l’autonomie locale. Là encore, le caractère unitaire de la République est un principe puissant.

 

Cette unité du pays entraîne la nécessité de garantir la coordination, l’uniformité et l’homogénéité des activités gouvernementales. De plus, de nouveaux critères tels que l’efficience économique et la maîtrise des dépenses publiques ont pris aujourd’hui une importance prépondérante.

 

Le panorama général des types de contrôle et de surveillance exercés par les organes de l’État sur les collectivités locales de Turquie inclut les pratiques suivantes : les inspections, les contrôles de tutelle, la dissolution du conseil, la révocation du maire et le contrôle par la Cour des comptes. Ces pratiques sont présentées brièvement dans les paragraphes ci-dessous. 

 

Inspections des municipalités, avertissements et remplacement des maires

 

Le ministère de l’Intérieur est autorisé à procéder à des inspections des activités, services et décisions des municipalités, au moyen de ses propres inspecteurs (des inspecteurs du ministère travaillent au sein de ses services provinciaux). Ces inspections portent sur la conformité des activités et décisions municipales avec la législation, sur l’équité et la régularité de la passation de marchés publics et sur l’efficience et la qualité de la prestation de services. Ainsi, d’après la loi sur les municipalités (loi n° 5393), la finalité de l’inspection dans les municipalités est de réaliser une analyse et une comparaison impartiales des services assurés par les collectivités locales, en se référant à certaines normes de performance. Au terme des inspections, un rapport est rédigé, incluant des conclusions à soumettre aux autorités concernées, en vue d’éviter les « échecs » observés dans les activités de la municipalité et d’améliorer la qualité et l’efficience des services locaux. 

 

Aux termes de l’article 55 de la loi sur les municipalités, celles-ci font l’objet d’inspections « externes » et « internes ». Ces deux types d’inspections doivent être réalisés conformément aux dispositions de la loi n° 5018 relative à la gestion et au contrôle des finances publiques. De plus, outre les transactions financières locales, le plan stratégique d’aménagement de la municipalité peut aussi faire l’objet d’une inspection du ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme afin de vérifier la conformité de ce plan avec les plans de développement et les stratégies administratives. Les résultats de l’inspection sont rendus publics et soumis au conseil municipal sous la forme d’un rapport d’activités. Si ce ministère constate un acte illégal, il peut décider de déposer une demande d’enquête pénale auprès du ministère public ou une demande d’action auprès du ministère de l’Intérieur. 

 

La tutelle administrative permet au pouvoir central de contrôler la légalité des décisions locales. D’une manière générale, le ministère de l’Intérieur (par le biais de ses services et antennes territoriaux) peut contrôler toutes les décisions et réglementations municipales et vérifier si elles sont conformes aux lois et réglementations en vigueur. Par exemple, ce ministère effectue un contrôle ex officio sur les licences municipales. Il s’agit d’un contrôle de légalité. Si un acte illégal est constaté, le ministère n’a pas le pouvoir d’annuler ou abroger la décision mais peut demander à la municipalité concernée de l’amender afin de la rendre compatible avec la législation. Si la décision n’est pas amendée après cette demande, dans certains cas le ministère peut le faire en vertu de son autorité ministérielle ; si la collectivité locale est en désaccord avec la décision ainsi amendée, elle peut contester l’action du ministère devant les juridictions administratives afin de la faire annuler. 

 

Un autre mécanisme notable est celui de l’« avertissement », réglementé à l’article 57 de la loi sur les municipalités : le ministère de l’Intérieur peut demander à un juge de paix d’établir l’existence d’une négligence grave au sein des services municipaux, constituant un risque pour la santé, la paix et la sécurité publiques. Dans ce cas, le ministre de l’Intérieur doit avertir le maire « en lui accordant un laps de temps raisonnable pour réparer cette négligence ». 

 

La conséquence la plus remarquable de ce mécanisme est celle-ci : si le maire ne remédie pas au problème constaté dans le laps de temps défini dans l’avertissement, le gouverneur de la province « est invité à assurer ce service ». En d’autres termes, le maire peut être remplacé par le gouverneur dans les cas où les insuffisances des services municipaux sont d’une telle gravité qu’elles affecte de manière vitale la santé publique et le bien-être de la population. Dans pareil cas, le gouverneur tente de « redresser la situation » en utilisant les ressources humaines et techniques de la municipalité, mais peut aussi demander l’aide d’autres institutions ou entreprises publiques. Le coût de ces mesures « extraordinaires » sera initialement couvert par la Banque des provinces, mais il sera ensuite déduit du budget local de la municipalité défaillante.

 

D’après certains interlocuteurs, ce mécanisme exceptionnel n’a été utilisé qu’une seule fois ces dix dernières années. 

 

Contrôles préalables et permissions découlant de la tutelle administrative

 

Divers ministères et organes du pouvoir central disposent d’un pouvoir de tutelle sur les décisions et actions des municipalités, sous la forme d’un contrôle, d’approbations, d’ajournements ou autres mesures analogues. Outre les cas présentés dans d’autres sections du présent rapport, les principaux exemples de tutelle sont les suivants :

-    Comme noté ci-dessus, les fonctions-types incluses dans la structure organisationnelle des municipalités sont définies par le ministère de l’Intérieur et par le Département d’État du personnel.
-    La nomination du secrétaire général des municipalités métropolitaines et des directeurs généraux des entreprises affiliées doit être confirmée par le ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme sur proposition du maire métropolitain ;
-    Le contenu du plan stratégique municipal est défini par le ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme et le format et le contenu du rapport municipal annuel par le ministère des Finances ;
-    Des réglementations sur l’élaboration des plans d’aménagement du territoire sont adoptées par le ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme, qui suit et supervise aussi les plans locaux d’aménagement du territoire et leurs amendements ;
-    Le ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme définit les responsabilités environnementales des municipalités et contrôle les ressources publiques qu’elles peuvent déployer pour améliorer l’environnement ;
-    Les résolutions des conseils municipaux n’entrent pas en vigueur sans être communiquées au gouverneur ou au gouverneur de district ;
-    Certaines décisions de planification doivent recevoir l’approbation du ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme ;
-    L’approbation préalable du Gouvernement central est nécessaire pour certaines opérations d’emprunt ;
-    L’approbation préalable du Gouvernement central est nécessaire pour la coopération transnationale entre collectivités locales ;
-    L’approbation préalable du Gouvernement central est nécessaire pour certains grands projets d’infrastructures ;
-    Pour les expropriations d’urgence, ou pour la création d’une entreprise municipales, dans certains cas l’approbation de la Présidence de la République est nécessaire.
 

Dissolution des conseils municipaux ou provinciaux

 

D’après la loi sur les municipalités, le ministère de l’Intérieur peut demander au Conseil d’État de dissoudre un conseil municipal qui ne remplit pas ses fonctions ou qui adopte des résolutions sur des questions politiques ne relevant pas des compétences de la municipalité. Les séances du conseil local peuvent être suspendues jusqu’à ce que le Conseil d’État prenne une décision. Si le maire a voté en faveur de résolutions conduisant à une dissolution du conseil, ce vote peut entraîner sa révocation par le Conseil d’État. 

 

Dans le cas des conseils provinciaux, l’article 22 de la loi sur les administrations provinciales spéciales dispose que ces organes peuvent être dissous par une décision du Conseil d’État après notification de ce dernier par le ministère de l’Intérieur. Cela peut se produire dans les cas suivants : (a) le conseil provincial général ne remplit pas ses obligations statutaires en temps voulu et ce manquement entrave ou retarde les travaux de l’administration provinciale spéciale ou (b) le conseil provincial général adopte des résolutions sur des questions politiques sans lien avec les responsabilités confiées à l’administration provinciale spéciale. Le ministère de l’Intérieur peut aussi demander que les séances du conseil soient différées jusqu’à la décision du Conseil d’État, qui doit se prononcer dans un délai d’un mois.

 

Après la dissolution, une nouvelle élection a lieu et le nouveau conseil à la place du conseil dissous siège jusqu’à la fin du mandat.

 

Révocation / suspension des maires

 

Un autre mode extraordinaire d’ingérence du pouvoir central dans le fonctionnement de la collectivité locale est la suspension d’élus. Les maires et les conseils municipaux faisant l’objet d’enquêtes ou de poursuites peuvent être suspendus par le ministère de l’Intérieur jusqu’à la conclusion de ces enquêtes ou poursuites. Cet aspect a été mentionné plus haut (voir section 3.6.1) et sera présenté plus en détail dans la section 6 ci-dessous.

 

Audit de la Cour des comptes

 

Les municipalités peuvent approuver leurs propres budgets annuels de manière autonome, dans le respect de certaines règles et limites de base, notamment celle qui exige que le budget soit consolidé et à l’équilibre. Les budgets des collectivités locales, cependant, sont soumis au parlement national, ce qui permet que toutes les dépenses publiques (y compris celles des collectivités locales) soient contrôlées conformément aux normes internationales. 

 

Les municipalités, comme l’ensemble du secteur public, peuvent faire l’objet d’un contrôle par la Cour des comptes, qui effectue ces contrôles pour le compte de la Grande Assemblée nationale. La Cour des comptes effectue non seulement des contrôles de régularité/légalité des dépenses des collectivités locales, mais évalue aussi les résultats des activités au regard des objectifs et des indicateurs spécifiés au niveau central dans le cadre de l’audit de performance des administrations locales. La principale disposition législative en la matière est la loi n° 6085 relative à la Cour des comptes. L’audit des administrations locales porte sur la régularité et la performance. 

 

La Cour des comptes réalise un audit externe a posteriori. Aux termes de l’article 68 de la loi n° 5018, la finalité d’un tel audit est de contrôler les activités, les décisions et transactions financières des organes locaux sous l’angle de leur conformité avec les lois, les buts institutionnels et les objectifs et plans, et de rendre compte des résultats dans le cadre de la responsabilité des administrations publiques. Après que le Bureau d’évaluation des rapports de la Cour des comptes a rendu un avis sur les rapports d’audit sur les collectivités locales, ces rapports sont adressés aux assemblées des collectivités locales concernées pour information et adoption des mesures nécessaires.

 

La Cour des comptes vérifie aussi régulièrement si les recettes et dépenses municipales sont conformes aux lois et réglementations et si les biens municipaux sont convenablement protégés. S’il est constaté lors d’un audit que des ressources publiques ont subi une perte, la Cour des comptes rend une décision de recouvrement, qui a l’effet d’une ordonnance d’un tribunal et n’est pas susceptible d’un recours devant une autre juridiction. De plus, si la Cour des comptes constate un cas de corruption financière, elle transmet le cas au ministère public. La Cour des comptes prépare un rapport annuel d’évaluation générale sur l’audit externe, comportant un chapitre spécifique pour les collectivités locales.

 

Enfin, toujours sur les questions d’audit, les municipalités sont censées mettre en place des mécanismes d’audit interne, au moyen de commissions d’audit spécifiques, bien que ce type de contrôle interne ne relève pas du champ de l’article 8.1 de la Charte. Néanmoins, ces mécanismes doivent être considérés comme attestant la capacité institutionnelle, la réputation sociale et la responsabilité autonome en matière de dépense des deniers publics. Il a cependant été indiqué à la délégation que de nombreuses collectivités locales ne disposent pas d’un système interne efficace de contrôle financier et qu’un grand nombre également ne remplissent pas les obligations légales énoncées par la loi n° 5018 ; par exemple, elles n’ont pas de comptable agréé. Les actes et transactions des administrations provinciales spéciales sont contrôlés par la « commission d’audit » établie en vertu de la loi n° 5302 sur les administrations provinciales spéciales. À l’image de la procédure appliquée dans les municipalités, le rapport d’activité est examiné par le parlement, et les transactions administratives autres que financières sont évaluées du point de vue de l’intégrité de l’administration, tandis que leur conformité avec le plan et les stratégies de développement est contrôlée par le ministère de l’Intérieur.

 

Les formes d’audit externe des collectivités locales présentées ci-dessus sont réglementées par la loi, et certaines sont même reconnues par la Constitution. De plus, la Constitution elle-même requiert l’application d’une tutelle administrative dans le respect des « principes et procédures prévus par la loi » (article 127).

 

L’article 8.1 de la Charte dispose que « [t]out contrôle administratif sur les collectivités locales ne peut être exercé que selon les formes et dans les cas prévus par la Constitution ou par la loi ». Tous les contrôles présentés ci-dessus sont reconnus ou réglementés par la Constitution (tutelle) ou par la loi. De ce point de vue formel, les rapporteurs considèrent que l’article 8.1 de la Charte est respecté en Turquie, quoique le poids cumulé de ces contrôles puisse être contraire à l’article 8.3 (voir ci-dessous).

Article 8.2
Contrôle administratif des actes des collectivités locales - Article ratifié

Tout contrôle administratif des actes des collectivités locales ne doit normalement viser qu'à assurer le respect de la légalité et des principes constitutionnels. Le contrôle administratif peut, toutefois, comprendre un contrôle de l'opportunité exercé par des autorités de niveau supérieur en ce qui concerne les tâches dont l'exécution est déléguée aux collectivités locales.


La section précédente recense les principaux types de contrôle intra-administratifs que l’État ou les autorités centrales peuvent exercer concernant les décisions, les projets et les actions des collectivités locales. Nombre de ces contrôles peuvent être considérés comme de véritables contrôles de légalité. Un autre exemple de contrôle de légalité est celui qu’exercent les gouverneurs dans les administrations provinciales spéciales. Aux termes de l’article 15 de la loi n° 5302 sur les administrations provinciales spéciales, afin de valider les décisions prises par les conseils provinciaux généraux, leur texte intégral doit être soumis au gouverneur dans un délai de cinq jours. Le gouverneur est habilité à renvoyer devant le conseil provincial général, dans un délai de sept jours, les décisions qu’il juge contraires à la loi, en indiquant les motifs de cette conclusion. La décision doit être réexaminée lors de la séance suivante du conseil. Si le conseil maintient sa décision, celle-ci devient définitive, mais le gouverneur peut alors, dans un délai de dix jours, déposer un recours devant le tribunal administratif compétent pour obtenir la suspension de son exécution. Le Conseil d’État dispose de soixante jours pour rendre sa décision. La loi permet l’intervention des organes de l’État dans un cadre légal incluant des missions étendues et non limitatives, qui peuvent dissimuler des contrôles d’opportunité. De plus, par principe la Charte n’autorise les contrôles d’opportunité que pour les tâches dont l’exécution est déléguée aux collectivités locales. Pourtant, comme on l’a vu, la délégation pure et simple de tâches est rare dans le système turc d’administration locale. Dans d’autres cas, comme dans le domaine de la planification ou pour la définition de normes pour la qualité ou la performance des services locaux, l’État exerce semble-t-il de véritables contrôles d’opportunité sur des compétences, tâches et fonctions propres des collectivités locales. 

 

Pour ces raisons, les rapporteurs ont constaté sur ce point une violation partielle de l’article 8.2 de la Charte. 

Article 8.3
Contrôle administratif des actes des collectivités locales - Non ratifié

Le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d'une proportionnalité entre l'ampleur de l'intervention de l'autorité de contrôle et l'importance des intérêts qu'elle entend préserver.


Soulignons tout d’abord que la Turquie n’a pas ratifié l’article 8.3 de la Charte et n’est donc pas liée par ce paragraphe. Cela étant, dans un souci d’exhaustivité, cet aspect de l’administration locale doit aussi être évoqué.

 

Comme on l’a vu précédemment, les autorités centrales turques appliquent un large éventail de pratiques et de mécanismes d’intervention dans les activités des collectivités locales. Toutes ces pratiques sont certes régies par des normes juridiques, mais on peut se demander si elles sont conformes au principe de proportionnalité énoncé à l’article 8.3 de la Charte. Les rapporteurs pensent que tel n’est pas le cas, du fait que le champ et l’intensité de ces contrôles et leur poids cumulé font peser sur les collectivités locales une pression contraire à la fois à la lettre et à l’esprit de la Charte. L’effet cumulé de ces pratiques ne respecte pas l’exigence de proportionnalité de l’ingérence dans les affaires locales. De plus, la révocation (suspension) de maires et la nomination d’administrateurs du pouvoir central pour les remplacer constituent une pratique particulièrement intrusive et néfaste pour la démocratie locale, appliquée alors que des mécanismes peut-être plus proportionnés seraient envisageables.

 

Pour ces raisons, et quoique le pays ne soit pas lié par cette disposition, les rapporteurs considèrent que la situation en Turquie n’est pas conforme à l’article 8.3 de la Charte.

Article 9.8
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Afin de financer leurs dépenses d'investissement, les collectivités locales doivent avoir accès, conformément à la loi, au marché national des capitaux.


Les municipalités peuvent avoir accès à l’emprunt en tant que source supplémentaire de recettes lorsque les dotations sur le budget de l’État et leurs recettes propres ne sont pas suffisantes. Les investissements dans des infrastructures souterraines, des stations d’épuration des eaux usées et d’autres grandes infrastructures sont souvent financés par l’emprunt. Les municipalités peuvent aussi émettre des obligations afin de financer des projets inclus dans le programme d’investissement local. Les articles 68 et suivants de la loi de 2005 sur les municipalités sont les dispositions les plus pertinentes à ce sujet, conjointement avec la loi n° 4749 relative aux finances publiques et à la gestion des dettes.

 

Traditionnellement, l’UE considère que la dette publique générale de la Turquie est relativement faible (32,2 % au deuxième trimestre 2019) , et que la part des collectivités locales sur ce chiffre est aussi habituellement faible. Par conséquent, l’endettement des collectivités locales n’est pas un sujet de préoccupation dans le pays.

 

Le ministère du Trésor et des Finances suit attentivement le taux d’endettement des collectivités locales et évoque explicitement cette question dans un rapport spécifique appelé Rapport sur la gestion de la dette publique, qui est publié chaque mois. D’après cette source ministérielle, le montant total de la dette de l’État en juin 2019 était d’environ 1 334 350 millions de lires turques (LT), tandis que la dette des collectivités locales ne représentait que 72 214 millions de LT.

 

Comme dans la plupart des pays d’Europe, la loi impose certaines limites et restrictions à l’emprunt et à l’endettement des collectivités locales. D’une part, une municipalité n’a pas le droit d’emprunter en vue de couvrir ses dépenses opérationnelles, l’emprunt n’étant autorisé qu’à des fins d’investissement ; deuxièmement, une municipalité ne peut pas emprunter davantage que le montant total de ses recettes au cours de l’exercice précédent (une fois et demie ce montant dans le cas des municipalités métropolitaines). Cependant, aucune restriction ne s’applique à l’emprunt pour un projet d’infrastructures faisant appel à des technologies de pointe et nécessitant d’importantes ressources financières, si le Conseil des ministres approuve le projet.

 

D’autre part, tout emprunt d’une municipalité est soumis à l’approbation du conseil municipal et, sauf dans certains cas, l’approbation du pouvoir central est également requise. À ce sujet, pour les emprunts conclus par une municipalité et représentant moins de 10 % des recettes de l’exercice précédent, l’approbation du pouvoir central n’est pas requise ; pour les montants supérieurs à ce seuil, l’accord du ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme doit être demandé.

 

Une autre mesure de précaution prévoit que les opérations d’emprunt qui représentent plus de 100 % des recettes de l’exercice précédent ne sont possibles que pour de gros projets d’infrastructures et avec l’accord de la Présidence de la République.

 

L’emprunt auprès d’organismes de crédit étrangers est aussi limité, dans la mesure où il n’est possible que pour des investissements dans des infrastructures et avec l’accord de la Présidence de la République. Pour l’emprunt à l’étranger, l’avis positif du Sous-Secrétariat au Trésor est requis si la municipalité veut obtenir la garantie du trésor national. L’autorisation du ministère des Finances est également requise lorsqu’une collectivité locale veut émettre des obligations sur le marché interne. Si une municipalité contracte un emprunt en violation de ces limites et procédures, la responsabilité financière des responsables locaux compétents peut être engagée.

 

Les municipalités métropolitaines sont tenues de fournir des informations détaillées sur leurs finances au ministère des Finances deux fois par an afin de permettre au ministère de vérifier si elles respectent les limites légales et réglementaires relatives à l’endettement local. 

 

Dans le domaine de l’emprunt, il convient de mentionner également la Banque des provinces (ILBANK). Cet organe a été créé en 1933 afin de financer les activités d’aménagement du territoire des municipalités et d’apporter une aide financière technique aux collectivités locales. Ses membres fondateurs étaient les administrations provinciales spéciales et les municipalités. 

 

La Banque des provinces est financée par un pourcentage de la part des collectivités locales au sein des recettes fiscales de l’État (telle que décrite ci-dessus), ce pourcentage étant déduit de la dotation aux municipalités et transféré à la Banque. La Banque des provinces fournit une assistance pour la conception de projets des collectivités locales et assure aussi un financement sous la forme de prêts pour les projets d’infrastructures des municipalités (jusqu’à 400 millions USD). La Banque accorde des prêts à court terme pour les besoins de trésorerie et le financement d’investissements à des taux inférieurs à ceux du marché. En ce sens la Banque des provinces peut être décrite comme une banque publique de développement pour les collectivités locales.

 

Enfin, les municipalités peuvent aussi emprunter auprès d’organisations telles que la Banque européenne d’investissement, la Banque asiatique d’investissement et d’autres institutions internationales. Cette possibilité est régie par des dispositions spécifiques. 

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs estiment que la situation en Turquie est conforme à l’article 9.8 de la Charte.

Article 9.7
Les ressources financières des collectivités locales - Non ratifié

Dans la mesure du possible, les subventions accordées aux collectivités locales ne doivent pas être destinées au financement de projets spécifiques. L'octroi de subventions ne doit pas porter atteinte à la liberté fondamentale de la politique des collectivités locales dans leur propre domaine de compétence.


L’article 9.7 est une autre disposition de la Charte qui n’a pas été ratifiée et n’est donc pas contraignante pour le pays. Cet aspect de l’administration locale doit toutefois être évoqué.

 

L’État alloue sur son budget différents types de transferts aux collectivités locales sous la forme de dotations réservées (dotations globales, dotations aux investissements, etc.). Les dotations conditionnelles sont habituellement utilisées pour aider les collectivités locales les plus pauvres. Par exemple, par le passé le Programme Koydes a apporté un soutien additionnel aux villages et le Programme Beldes est venu en aide aux petits districts. Ces programmes ont aidé des villages et des districts à mener à bien des projets d’investissements qu’ils n’auraient pas pu réaliser par eux-mêmes, portant le plus souvent sur l’approvisionnement en eau, l’évacuation des eaux usées et la construction de routes locales.

 

Il convient également de mentionner la « subvention municipale », financement spécial inclus dans le Budget stratégique de la Présidence pour la réalisation de projets d’investissement dont les municipalités ont besoin. Ce financement peut être utilisé par les municipalités sur autorisation du Président.

 

Même si la part des impôts centraux allouée aux collectivités locales (« impôts partagés ») est considérée comme une « dotation », en règle générale ces transferts ne sont pas « réservés » puisqu’ils servent à couvrir les dépenses opérationnelles et de fonctionnement de la collectivité locale. La proportion des dotations strictement « réservées » au sein des budgets locaux est très limitée. 

 

Cependant, les représentants locaux ont déploré, si les recettes « ordinaires » ou « objectives » des communes sont parfaitement transparentes (impôts partagés), que les financements spécifiques ou extraordinaires (tels que les dotations décrites ici) soient néanmoins soumis à des considérations politiques et subjectives, telles que l’affiliation politique du maire et son affinité avec le pouvoir central.

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs estiment que l’article 9.7 est respecté en Turquie, puisque la plupart des dotations aux collectivités locales ne sont pas réservées pour le financement de projets spécifiques. 

Article 9.6
Les ressources financières des collectivités locales - Non ratifié

Les collectivités locales doivent être consultées, d'une manière appropriée, sur les modalités de l'attribution à celles ci des ressources redistribuées.


La Turquie n’a pas inclus l’article 9.6 parmi les dispositions de la Charte qu’elle a ratifiées. Elle n’est donc pas liée par cette disposition. Cela étant, dans un souci d’exhaustivité, cet aspect de l’administration locale doit aussi être évoqué.

 

À ce sujet, les rapporteurs considèrent que ce qui a été dit ci-dessus en lien avec l’article 4.6 de la Charte (droit des collectivités locales d’être consultées d’une manière générale) vaut aussi mutatis mutandis pour la question spécifique visée à l’article 9.6. En Turquie, il n’existe pas d’organe spécifique pour la consultation des collectivités locales ni pour des négociations politiques entre niveaux d’autorité sur les finances locales. De même, il n’existe pas de modèle spécifique établi pour la consultation sur les finances locales. Au contraire, le pouvoir central décide de manière unilatérale de la plupart des questions dans ce domaine ; il détermine non seulement les taux de certains impôts locaux, mais aussi les montants minimaux et maximaux de nombreux droits municipaux. Par ailleurs, il y a une « cohérence » dans la ratification de la Charte par la Turquie, puisque ni l’article 4.6 (disposition générale) ni l’article 9.6 (disposition spécifique) n’a été ratifié. Cela peut assurément être le signe d’une absence de volonté d’engager un dialogue interterritorial, qui renforce une fois encore la tendance centralisatrice du pays. 

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs considèrent que la situation en Turquie n’est pas conforme à l’article 9.6 de la Charte.

Article 9.5
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

La protection des collectivités locales financièrement plus faibles appelle la mise en place de procédures de péréquation financière ou des mesures équivalentes destinées à corriger les effets de la répartition inégale des sources potentielles de financement ainsi que des charges qui leur incombent. De telles procédures ou mesures ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur propre domaine de responsabilité.


En Turquie, la péréquation financière est réalisée principalement par le biais des impôts partagés et par la part que chaque collectivité locale est habilitée à recevoir chaque année à ce titre. 

 

Par exemple, comme on l’a vu, les municipalités métropolitaines se voient allouer 6 % des Recettes fiscales du budget général. Cependant, toutes les municipalités métropolitaines ne reçoivent pas la même part « mathématique ». Toutes reçoivent certes 60 % de cette part directement, mais les 40 % restants sont versés dans un compte ou fond spécial commun. Sur ce fond, 70 % sont redistribués aux municipalités métropolitaines selon leur population et 30 % selon leur superficie. La péréquation entre les municipalités métropolitaines s’effectue donc en allouant davantage de fonds à celles qui ont les revenus les plus faibles. Le ministère du Trésor et des Finances est l’organe chargé de répartir ces fonds entre les municipalités métropolitaines.

 

Dans le cas des municipalités de district, il est indiqué ci-dessus qu’elles reçoivent 4,5 % des recettes fiscales centrales. Cependant, toutes ces municipalités ne reçoivent pas exactement ce pourcentage, puisque 90 % de cette part sont répartis entre les différentes municipalités selon leur population et 10 % selon leur superficie. Le critère de la taille géographique vise à promouvoir la péréquation en faveur des municipalités les moins densément peuplées.

 

Dans le cas des autres municipalités, il est indiqué ci-dessus qu’elles reçoivent 1,5 % des recettes fiscales centrales. Cependant, là encore il existe différents sous-pourcentages, calculés afin d’obtenir une forme de redistribution de ces transferts : 80 % de cette dotation globale sont répartis entre les municipalités selon leur population et 20 % sur la base d’un « indice de développement socio-économique ». Cet indice permet de répartir les collectivités locales en cinq groupes, dont le moins développé obtient 23 % du fonds commun et le plus développé, 17 % de ce fonds. Ainsi, la péréquation financière entre les municipalités ordinaires se fait en accordant un pourcentage plus important aux collectivités les moins développées.

 

Par ailleurs, 0,1 % des recettes budgétaires totales sont alloués aux municipalités de moins de 10 000 habitants (elles sont au nombre de 708). Sur cette part, 65 % sont répartis équitablement et 35 % en fonction de leur population. Ce dispositif constitue une péréquation financière secondaire pour les municipalités les plus petites. Enfin, les administrations provinciales spéciales reçoivent 0,5 % des recettes fiscales de l’État, dont 50 % sont répartis d’après la population, 10 % d’après la superficie, 10 % d’après le nombre de villages, 15 % d’après la population rurale et 15 % d’après l’indice de développement de la province. 

 

Lors des diverses réunions avec la délégation, les représentants locaux ont indiqué qu’ils étaient globalement satisfaits du système actuel de péréquation financière. 

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs considèrent que la situation en Turquie est conforme à l’article 9.5 de la Charte. 

Article 9.3
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi.


Comme noté précédemment, les collectivités locales turques ont leurs propres impôts « locaux », au vrai sens du terme, et peuvent collecter différentes sortes de droits et redevances . Ces deux catégories sont présentées ci-dessous. 

 

i    Ressources fiscales propres : Les collectivités locales de Turquie ne sont pas autorisées à imposer les revenus, cette compétence étant du ressort exclusif de l’État. Cependant, elles peuvent collecter un certain nombre d’autres impôts et taxes, parmi lesquels : 

 

- Taxe sur les biens immobiliers : La taxe sur les biens immobiliers est la plus importante de toutes les ressources fiscales locales. Son taux est de 0,1 % de la valeur des biens pour les résidences et de 0,2 % pour les autres bâtiments (dans les métropoles, ces taux sont doublés). La valeur des biens est évaluée et revalorisée tous les quatre ans par une commission interministérielle.

 

- Taxe d’assainissement : Les locaux d’habitation et professionnels sont soumis à cette taxe couvrant les services assurés par la municipalité concernant les déchets solides. Dans le cas des locaux professionnels, elle est calculée sur la base de critères tels que le nombre d’employés ou la capacité d’accueil des hôtels, par exemple.

 

- Taxe sur les annonces et la publicité : Cette taxe est perçue pour les annonces et la publicité faites sur le territoire de la municipalité. Son taux est calculé d’après l’espace occupé par l’affichage. Les taux minimal et maximal de cette taxe sont fixés par la loi. La Présidence de la République de Turquie établit des catégories de municipalités et fixe les taux pour chaque groupe de collectivités locales.

 

- Taxe sur les divertissements : Les entreprises de divertissement situées sur le territoire d’une municipalité (cinémas, lieux de paris, etc.) sont assujetties à cette taxe, dont les taux sont déterminés par la Présidence de la République de Turquie.

 

- Taxe sur la consommation d’électricité et de gaz de houille

 

- Taxe sur les communications.

 

Comme on le voit, le nombre et les types d’impôts locaux sont relativement variés. Les recettes fiscales représentent 22-23 % des recettes « propres » des municipalités. Cependant, il est à souligner que la réglementation et les taux de ces impôts et taxes sont exclusivement imposés par l’État. Par conséquent, les collectivités locales n’ont pas le pouvoir de modifier ou d’adapter les taux de ces impôts aux besoins municipaux, de sorte que ces modalités ne satisfont pas aux exigences de la Charte.

 

ii    Droits et redevances : Les collectivités locales peuvent percevoir des droits et redevances liés à l’utilisation de services, comme il est indiqué brièvement ci-dessous.  

 

(a) Droits : Tout d’abord, les municipalités perçoivent des droits pour certains services, tels que la construction de bâtiments et la délivrance de licences commerciales. Il existe divers autres droits, notamment sur l’urbanisme, l’eau de source, etc. La plupart de ces droits (notamment sur la construction de bâtiments et la délivrance de licences commerciales) sont calculés d’après la surface des bâtiments ou établissements. Les droits représentent une source de recettes importante, constituant 9,16 % des recettes propres des municipalités . Les taux inférieur et supérieur des droits sont définis par la législation nationale. Dans cette fourchette, le Conseil des ministres classe les municipalités d’après leurs indices de développement économique, et le conseil municipal fixe les taux spécifiques applicables dans chaque quartier de la municipalité.

 

Enfin, les personnes qui utilisent des lieux publics tels que des routes, des ponts ou des espaces piétonniers à des fins commerciales sur le territoire de la municipalité sont redevables de certains droits, par exemple les frais de stationnement sur la voie publique. 

 

Les taux minimaux et maximaux des droits sont définis par la loi n° 2464 sur les recettes municipales. Le Conseil des ministres établit des catégories de municipalités d’après leur niveau de développement. Le montant des droits est établi sur la base de cette classification. Cependant, le conseil municipal a la possibilité de fixer des taux différents pour les quartiers ou arrondissements ayant des niveaux de développement économique différents.

 

(b) Contributions spéciales : Outre les droits proprement dits, les municipalités de Turquie peuvent aussi prélever une « contribution aux dépenses d’investissement », payable par les propriétaires fonciers. Cette contribution vise à aider les collectivités locales à financer la construction de routes locales et d’infrastructures d’approvisionnement en eau et d’évacuation des eaux usées.

 

(c) Redevances pour des services : Des redevances sont perçues pour divers services assurés par les municipalités à la demande de particuliers ou d’entreprises ; ces redevances ne peuvent porter sur des services déjà assujettis à des taxes, droits ou contributions. Les plus importantes de ces redevances collectées par les communes portent notamment sur l’eau et les transports publics. Les municipalités proposent aussi des services payants tels que le nettoyage des réservoirs d’eau, le ramonage, etc. Les barèmes sont définis par le conseil municipal.

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs estiment que les impôts, droits et redevances locaux sont suffisamment nombreux et diversifiés, mais que les collectivités locales ne disposent que d’un pouvoir limité pour fixer le taux des impôts locaux. Par conséquent, la situation en Turquie n’est que partiellement conforme à l’article 9.3 de la Charte. 

Article 9.2
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Les ressources financières des collectivités locales doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi.


Voir article 9.1

Article 9.1
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences.


L’analyse de l’article 9.1 et de l’article 9.2 de la Charte sera menée conjointement, du fait qu’ils sont étroitement liés. 

 

Les collectivités locales de Turquie ont droit à des ressources financières propres, dont elles peuvent disposer dans l’exercice de leurs compétences. Du point de vue juridique, les principaux textes législatifs pertinents sont la loi n° 2464 sur les recettes municipales, la loi n° 5779, adoptée en 2008 telle qu’amendée, la loi n° 5018 sur l’administration et le contrôle budgétaires publics et les lois annuelles sur le Budget général de la République de Turquie.

 

Pour ce qui concerne leur autonomie financière, les collectivités locales approuvent librement leurs propres budgets annuels, dans le respect des normes statutaires et des lignes directrices du ministère du Trésor et des Finances concernant l’élaboration des budgets. De plus, en vertu de la loi n° 5393, les maires adressent le projet de budget au ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme pour ajout au projet de budget de l’État, mais ce ministère n’est pas habilité à amender ou modifier le budget local de quelque manière que ce soit. Par ailleurs, les municipalités décident aussi librement de leurs propres dépenses, sauf dans le cas évidemment des dotations globales ou réservées. Cette liberté est compatible avec l’obligation de rendre compte régulièrement au ministère des Finances de l’état d’exécution des budgets locaux.

 

Bien que l’article 59 de la loi sur les municipalités et certains articles d’autres lois connexes contiennent une énumération des différentes sources de revenu des collectivités locales de Turquie, aux fins du présent rapport nous pouvons diviser les recettes financières en question entre les catégories détaillées dans les prochains paragraphes. 

 

i    Impôts partagés : aux termes de la loi n° 5779, adoptée en 2008 et telle qu’amendée, les collectivités locales ont droit à une part ou une proportion du produit annuel de certains impôts nationaux, un chapitre désigné sous l’appellation Recettes fiscales du budget général (RFBG). L’impôt le plus important est l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Le pouvoir central collecte ces impôts et en distribue des parts ou pourcentages différents aux collectivités locales. Cette part ou proportion des RFBG allouée aux différentes catégories de collectivités locales est la suivante : les municipalités métropolitaines reçoivent 6 % des impôts collectés par l’État sur leur territoire respectif ; 0,50 % des RFBG sont alloués aux administrations provinciales spéciales ; 1,50 % des RFBG sont alloués aux municipalités non métropolitaines ; 4,50 % des RFBG sont alloués aux municipalités de district métropolitain (30 % de la part des municipalités de district métropolitain sont transférés aux municipalités métropolitaines) . Le critère dominant pour la détermination de ces parts est la population de la collectivité locale concernée, mais d’autres critères marginaux sont aussi définis aux fins d’une fonction de péréquation du système (voir ci-dessous, section 4.8.5). Cette source de recettes a augmenté au fil des années dans la structure des ressources des collectivités locales et elle constitue la plus grande part des budgets municipaux totaux. 

 

Bien que la pratique et la terminologie turques qualifient cette source comme étant des « impôts partagés », et bien qu’ils soient décrits d’un point de vue technique comme des « transferts non conditionnels », il est à noter que les collectivités locales n’ont aucune compétence réglementaire, administrative ou exécutive concernant ces impôts : elles ne les collectent pas, elles n’ont pas le droit d’imposer un supplément sur le taux fixé par le pouvoir central, etc. Les collectivités locales n’ont, au mieux, qu’un rôle limité dans la réglementation et la collecte de ces impôts : elles reçoivent simplement ces fonds du pouvoir central. Par conséquent, et compte tenu de sa finalité et de son mode d’administration, cette source de recettes pourrait aussi être considérée comme une « dotation générale » ou comme un instrument de péréquation financière (voir ci-dessous, section 4.8.5). 

 

ii    Ressources fiscales propres : les collectivités locales de Turquie ne sont pas autorisées à imposer les revenus (aussi bien des personnes physiques que des entreprises), cette compétence étant du ressort exclusif de l’État. Cependant, elles peuvent collecter un certain nombre d’autres impôts, dont le plus important est la taxe sur les biens immobiliers. Ces impôts sont présentés ci-dessous en lien avec l’article 9.3 de la Charte.

 

iii    Droits et redevances : les collectivités locales peuvent percevoir des droits et redevances pour l’utilisation de biens publics ou l’offre de certains services locaux tels que la délivrance d’autorisation ou de certificats. Ces droits et redevances sont présentés plus en détail en lien avec l’article 9.3 de la Charte.

 

iv    Dotations (globales et d’investissement) accordées aux collectivités locales sur le budget de l’État. Elles sont présentées plus en détail ci-dessous en lien avec l’article 9.7 de la Charte.

 

v    Amendes et pénalités pour les infractions mineures, comme les violations des règles de stationnement.

 

vi    Les recettes de droit privé, telles que celles qui proviennent de la vente, la location ou la cession à bail de biens municipaux, des bénéfices économiques d’entreprises locales, de la vente de publications ou du produit d’opérations de privatisation. Les conseils municipaux sont habilités à décider de la privatisation des sociétés, entreprises et filiales de la municipalité. Le produit des privatisations est comptabilisé parmi les recettes budgétaires locales. Les recettes provenant des entreprises locales et d’opérations sur les biens municipaux représentaient 14,8 % des recettes municipales totales en 2013. 

 

vii    L’emprunt et l’accès aux marchés des capitaux. Cette source de recettes est présentée plus en détail ci-dessous, en lien avec l’article 9.8 de la Charte.

 

viii    Autres sources diverses et mineures, telles que les donations.

 

Aux fins du présent rapport, les recettes provenant des sources identifiées sous les points (ii), (iii), (v), (vi) (vii) et (viii) ci-dessus peuvent être classées parmi les « recettes propres ». D’après l’Union des municipalités de Turquie, le chapitre des recettes propres représente au total 48,8 % des budgets municipaux , ce qui constitue un pourcentage relativement élevé à l’échelle européenne, et plus encore pour le sud-est du continent. Une autre estimation du poids relatif des « recettes propres » des collectivités locales est celle qu’a réalisée le Réseau des associations de pouvoirs locaux d’Europe du Sud-Est (NALAS). Selon cette organisation, « les collectivités locales de Turquie tirent plus de 42 % de leurs recettes de sources sur lesquelles elles exercent une forme de contrôle, ce qui représente une proportion conforme à la plupart des normes européennes. » 

 

Afin de déterminer dans quelle mesure les ressources financières des collectivités locales de Turquie sont « suffisantes », et d’évaluer le degré de décentralisation budgétaire, des données et des indicateurs divers doivent être pris en considération. Dans ce domaine, les indicateurs les plus communément utilisés consistent à exprimer les recettes et dépenses locales en proportion des recettes et dépenses publiques totales et en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Ainsi, les recettes des collectivités locales représentent 5 % du PIB total, tandis que celles du pouvoir central représentent 33,2 % du PIB (chiffres de 2015). Un autre élément de référence intéressant pour mesurer le degré de décentralisation financière est le pourcentage des dépenses des collectivités locales sur les dépenses publiques totales. Ce pourcentage est habituellement estimé à 12-13 %, soit un chiffre relativement faible à l’échelle européenne, surtout si l’on considère qu’il n’y a pas de niveau d’autorité régionale en Turquie.

 

La composition ou structure des recettes locales est un facteur utile pour déterminer le degré d’autonomie financière des collectivités locales. En 2015, ces chiffres pour la Turquie étaient les suivants : 
(a) recettes propres : 42 %
(b) impôts partagés : 50 %
(c) dotations générales : 8 % 

 

Pour ce qui est des dépenses des collectivités locales de Turquie, leur composition en 2015 était la suivante :
- investissements : 34 %
- salaires : 17 %
- biens et services : 42 %
- subventions et transferts : 3 %
- autres : 4 %

 

Lors des entretiens de la délégation avec divers interlocuteurs, les rapporteurs n’ont pas entendu de plaintes récurrentes ou spécifiques selon lesquelles les collectivités locales seraient sous-financées ou n’auraient pas les fonds nécessaires pour exercer une compétence ou une fonction donnée. Au contraire, ils ont dans l’ensemble fait part de leur satisfaction concernant leur situation et les modalités financières actuelles. Cependant, lors de la troisième partie de la mission de suivi, plusieurs représentants locaux ont signalé une évolution négative dans le domaine de l’autonomie financière des collectivités locales : en vertu du programme de Trésorerie unique, les recettes des collectivités locales peuvent être incluses et transférées vers ce programme sans aucune consultation préalable avec les collectivités locales concernées. Cette trésorerie unique instaure un système de mise en commun des ressources financières qui permet une gestion centrale des deniers publics. L’autorité compétente pour ce faire est le Président de la République. Les ressources financières des municipalités et des administrations provinciales spéciales, sans distinction entre leurs ressources propres et celles qui leur sont transférées par le pouvoir central, ont également été incluses en 2018 dans la loi n° 4749- loi sur les finances publiques et la gestion de la dette (article 12). Aux termes de cette disposition légale, en cas d’utilisation illicite de ressources publiques relevant de ce programme de trésorerie unique, les profits obtenus sont confisqués pour le compte des autorités centrales et inscrites dans le budget général de l’administration centrale. Ce système pose problème non seulement sous l’angle de la Charte mais aussi sous celui de la Constitution turque. En conséquence, un recours contre cet amendement législatif a été déposé devant la Cour constitutionnelle, mais la décision de la Cour prise à la majorité n’a pas annulé cette disposition, bien qu’il y ait eu cinq avis dissidents dont celui du Président de la Cour (voir la décision en question dans le Journal officiel, 7 mai 2021 ). Un autre fait récent intéressant signalé par les représentants locaux lors de la troisième partie de la visite concerne une autre décision rendue en 2019 par la Cour constitutionnelle, au sujet de la révision de la loi sur l’expropriation (loi n° 2942). Cette loi permet le transfert de biens des municipalités et des administrations provinciales spéciales vers le ministère de l’Intérieur pour des raisons de sécurité. Dans le cas d’un tel transfert, les activités de planification nécessaires concernant ces biens seront également réalisées par le ministère de l’Environnement. Cette loi a été contestée devant la Cour constitutionnelle, laquelle n’a cependant pas conclu à son inconstitutionnalité.

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs estiment que la situation en Turquie est conforme à l’article 9.1 et l’article 9.2 de la Charte, bien que la législation ait connu des évolutions restrictives dans ce domaine. 

Article 9.4
Les ressources financières des collectivités locales - Non ratifié

Les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible dans la pratique, l'évolution réelle des coûts de l'exercice de leurs compétences.


La Turquie n’a pas inclus l’article 9.4 parmi les dispositions de la Charte qu’elle a ratifiées. Elle n’est donc pas liée par cette disposition. Cela étant, dans un souci d’exhaustivité, cet aspect de l’administration locale doit aussi être évoqué.

 

Compte tenu du système et de la structure des finances locales, tels que présentés dans le présent rapport, on peut conclure que les différents types de recettes des collectivités locales sont suffisamment diversifiés, puisqu’ils couvrent toutes les sources possibles de financement local habituellement présentes dans la plupart des systèmes européens de finances locales. Le caractère « évolutif » ou non du système de finances locales est plus difficile à évaluer et nécessiterait une analyse plus approfondie, s’agissant d’un concept très subtil et même controversé. Quoi qu’il en soit, pendant (et après) la mission, les représentants locaux n’ont à aucun moment déploré que le système financier de la Turquie les empêcherait de suivre l’évolution réelle des coûts liés à l’exercice de leurs responsabilités. D’ailleurs, la plupart des différents éléments constitutifs du système de finances locales sont actualisés ou augmentés régulièrement. Dans certains domaines, cependant, tels que les droits et redevances sur les services, les collectivités locales n’ont qu’une capacité limitée à augmenter ces recettes. 

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs considèrent que la situation en Turquie est conforme à l’article 9.4 de la Charte.

Article 10.1
Le droit d'association des collectivités locales - Article ratifié

Les collectivités locales ont le droit, dans l'exercice de leurs compétences, de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s'associer avec d'autres collectivités locales pour la réalisation de tâches d'intérêt commun.


Les collectivités locales de Turquie ont le droit de coopérer et de s’associer avec d’autres collectivités locales du pays au sein de structures et d’organes collectifs. Ainsi, les municipalités de Turquie peuvent établir des associations ou des partenariats entre elles pour la réalisation de tâches d’intérêt commun et afin d’assurer des services locaux communs. La coopération intermunicipale existe principalement dans les domaines des infrastructures économiques et techniques, des services municipaux, des services sociaux, des services culturels, du renforcement des capacités institutionnelles et du développement économique. Elle se matérialise en général sous la forme d’un « accord de partenariat ».

 

En 2015, il existait 342 associations municipales de ce type, dont 99 dans le domaine de la protection de l’environnement et de la construction et l’entretien d’infrastructures, et 92 dans celui de la distribution d’eau potable et de l’assainissement . De plus, une large majorité des municipalités métropolitaines ont leurs propres relations de jumelage avec d’autres villes de Turquie. Près de la moitié de ces jumelages ont été établis par Istanbul, Izmir, Bursa, Ankara et Antalya.

 

Les associations représentatives des collectivités locales peuvent aussi servir de forum pour promouvoir la coopération intermunicipale. Par exemple, l’Union des municipalités de Marmara (UMM, voir ci-dessous) joue depuis sa création en 1975 un rôle important dans la promotion d’une culture d’accord et de collaboration entre collectivités locales partenaires et dans la création de structures de coopération entre ces municipalités. 

 

Compte tenu des considérations ci-dessus, les rapporteurs estiment que la situation en Turquie est conforme à l’article 10.1 de la Charte.

Article 10.2
Le droit d'association des collectivités locales - Non ratifié

Le droit des collectivités locales d'adhérer à une association pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs et celui d'adhérer à une association internationale de collectivités locales doivent être reconnus dans chaque Etat.


La Turquie n’a pas inclus l’article 10.2 dans son instrument de ratification et, par conséquent, n’est pas liée par ce paragraphe de la Charte. Cependant, dans un souci d’exhaustivité, cet aspect de l’administration locale doit aussi être évoqué. Aux fins de cette analyse, il convient d’examiner deux dimensions différentes : le droit d’adhérer à une association nationale et celui d’appartenir à des associations internationales.

 

Associations nationales

 

En Turquie, les collectivités locales ont le droit d’appartenir à des associations pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs. Les unions de collectivités locales sont régies par un texte législatif spécifique (la loi n° 5355 sur les Unions de collectivités locales).

 

La principale association municipale est l’Union des municipalités de Turquie (UMT ; Türkiye Belediyeler Birligi en turc, TBB). Elle a été établie en 1945 en tant qu’association d’utilité publique et, en 2002, a acquis son statut actuel par une décision du Conseil des ministres. L’UMT est unique au sens où elle réunit toutes les municipalités du pays : toutes sont membres de droit de l’UMT. Par conséquent, elle est la seule association de ce type à l’échelle nationale.

 

L’UMT a pour mission de protéger les droits et les intérêts de toutes les municipalités de Turquie ; de défendre l’intérêt des municipalités et de les représenter au sein des instances et plateformes nationales et internationales ; de leur fournir des conseils, des formations pour les agents municipaux ainsi qu’un soutien et une aide techniques . L’UMT promeut aussi la coopération intermunicipale et émet des avis sur les projets de lois ayant trait aux municipalités. À ce sujet, il a été indiqué à la délégation qu’à la fois les commissions parlementaires et les ministères spécifiques consultent les avis de l’Union sur les projets de lois. L’Union est financée par les cotisations de ses membres, qui sont versées par toutes les municipalités de Turquie. La délégation a eu le sentiment que l’UMT est une union forte et puissante, dotée de structures remarquables et d’un grand nombre d’employés, et probablement l’une des plus puissantes associations de pouvoir locaux d’Europe. 

 

Cependant, l’UMT n’est pas la seule association représentative des collectivités locales de Turquie. Il existe aussi des unions régionales de municipalités telles que Mer Noire, Municipalités du Sud-Est, Égée, Trakyakent, etc. 

 

Par exemple, l’Union des municipalités de Marmara (UMM), fondée en 1975, représente environ 200 collectivités locales situées dans la région de la mer de Marmara (y compris Istanbul) afin de mener des activités importantes dans des domaines tels que la formation, le conseil, les bibliothèques et publications locales, les activités scientifiques, la coordination et la coopération, les études sur les migrations et la cohésion sociale, la gestion de l’environnement et le renforcement des capacités.

 

Lors de la procédure de consultation, le HDP a souligné que le ministère de l’Intérieur a résilié récemment l’adhésion de 70 membres de l’Union des municipalités d’Anatolie du Sud-Est (Guneydogu Anadolu Belediyeler Birligi – GABB), tous conseillers du HDP, et que ce parti a ainsi perdu sa majorité à l’assemblée générale de la GABB. Cette résiliation est intervenue après la suspension du maire de Diyarbakir, qui présidait la GABB.

 

Enfin, l’Union des provinces représente les administrations provinciales spéciales qui existent encore dans le pays, c’est-à-dire les collectivités locales de deuxième niveau.

 

Dans le cadre de la mission de suivi, la délégation du Congrès a tenu une réunion spécifique avec l’UMT et avec l’Union des provinces. Les hauts représentants des deux associations ont indiqué que, d’une manière générale, ils étaient satisfaits de la situation de l’administration et de la démocratie locales en Turquie, que ce soit en termes de cadre juridique, de compétences ou de financement. Ils sont fermement convaincus que les collectivités locales turques sont des autorités publiques puissantes et dotées d’une forte assise démocratique, et qu’elles sont un élément essentiel pour une bonne organisation territoriale de la Turquie. Ils sont globalement satisfaits du niveau actuel de décentralisation, qui (selon eux) respecte la plupart des normes européennes usuelles et s’inscrit harmonieusement dans l’histoire et le paysage politique actuel de la Turquie. 

 

Associations internationales

 

La liberté générale dont jouissent les collectivités locales de Turquie pour former des associations représentatives nationales ou régionales ne se reflète pas dans leur capacité à former des associations internationales. En la matière, une interprétation rigide de la compétence exclusive de la République de Turquie dans le domaine des affaires étrangères impose une approche restrictive à cette dimension internationale spécifique des collectivités locales. Conformément à cette politique, l’article 74 de la loi de 2005 sur les municipalités (intitulé « Relations extérieures ») énonce diverses dispositions à ce sujet. Premièrement, les municipalités peuvent participer à des institutions et organisations internationales relatives à leur domaine d’activités en tant que membres fondateurs ou simples membres, sur décision du conseil municipal. Par ailleurs, la municipalité peut mener des projets conjoints d’activités ou de services, ou établir des relations d’association urbaine avec ces institutions, organisations et administrations locales étrangères. Cependant, « un principe fondamental exige de mener ces activités (…) conformément aux politiques étrangères et aux accords internationaux et d’obtenir l’autorisation préalable du ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme ». 

 

Comme on le voit, le ministère de l’Environnement et de l’Urbanisme dispose d’un droit d’intervention décisive dans ce domaine, qui peut restreindre le déploiement libre et entier de la dimension de coopération internationale des collectivités locales. Cela ne signifie pas que, dans les faits, les associations de collectivités locales de Turquie sont coupées du reste du monde. Par exemple, l’Union des municipalités de Turquie (UMT) est membre du Conseil des communes et régions d’Europe (CECR), la plus ancienne et plus vaste association européenne de pouvoirs locaux et régionaux, et l’Union des municipalités de Marmara (UMM) est partenaire du NALAS, une association internationale regroupant des associations nationales ou régionales de pouvoirs locaux du sud-est de l’Europe. 

 

Cependant, la nécessité d’obtenir l’autorisation du pouvoir central pour participer à de telles activités est un aspect qui, de l’avis des rapporteurs, entraîne que la situation en Turquie ne satisfait pas aux exigences de la Charte à ce sujet.

 

Compte tenu de ce qui précède, les rapporteurs estiment que la situation en Turquie n’est que partiellement conforme aux exigences de l’article 10.2 de la Charte.

Article 10.3
Le droit d'association des collectivités locales - Non ratifié

Les collectivités locales peuvent, dans des conditions éventuellement prévues par la loi, coopérer avec les collectivités d'autres Etats.


La Turquie n’a pas inclus l’article 10.3 de la Charte parmi les dispositions qu’elle a ratifiées. Cela étant, dans un souci d’exhaustivité, cet aspect de l’administration locale doit aussi être évoqué. 

 

Premièrement, en vertu de la législation actuelle de la Turquie, toutes les initiatives ou tous les projets de coopération de municipalités avec des collectivités locales étrangères sont soumis à l’approbation du pouvoir central. Par exemple, une demande de jumelage avec une municipalité d’un autre pays requiert une telle approbation. 

 

D’un autre côté, la Turquie a signé (1998) et ratifié (2000) la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (STE n° 106), un traité international qui est entré en vigueur pour la Turquie le 12 octobre 2001. 

 

Quoi qu’il en soit, et du moins dans les faits, les collectivités locales de Turquie participent à de multiples initiatives et projets de coopération avec des collectivités locales d’autres États. Ces initiatives transnationales sont fréquemment encouragées par les associations représentatives des collectivités locales, et l’UMT sert souvent d’intermédiaire entre des municipalités turques et étrangères et mène des projets conjoints avec des associations de pouvoirs locaux étrangères. Par exemple, l’association nationale mène de nombreux projets de coopération et de partenariat avec des collectivités locales et associations étrangères, parmi lesquels : le Projet pour un réseau de partenariats municipaux (Tusenet) avec l’Association suédoise des autorités locales et régionales (SALAR) ; le projet « Logo » avec l’association néerlandaise VNG ; et la promotion de partenariats internationaux entre des municipalités turques et espagnoles. Grâce à ces initiatives, plusieurs dizaines de municipalités turques ont établi des jumelages et d’autres relations de coopération avec des municipalités néerlandaises, suédoises et espagnoles. L’Union propose aussi des formations et des transferts d’expérience à des collectivités locales d’autres pays, notamment de la région des Balkans et du Proche-Orient. Un autre exemple de promotion de la coopération internationale entre les collectivités locales est celui de l’Union des provinces, qui a organisé en 2020 une grande conférence internationale sur les jumelages des villes. 

 

Outre ces activités menées par des associations représentatives, de nombreuses municipalités de Turquie ont mis en place leurs propres actions et projets, dans le cadre desquels elles coopèrent avec des collectivités locales d’autres pays. Bien sûr, le présent rapport ne peut pas donner une description détaillée des activités de ce type, puisque de nombreuses collectivités locales de Turquie ont établi des jumelages avec des collectivités locales étrangères, principalement de pays des Balkans occidentaux et orientaux, de Chypre du Nord ou de pays arabes et du Proche-Orient. Par exemple, Ankara entretient à elle seule de solides liens de coopération internationale avec d’autres villes, et a signé 51 accords de jumelage avec d’autres capitales du monde entier.

 

Compte tenu de ce qui précède, et quoique cette disposition ne soit pas juridiquement contraignante pour le pays, les rapporteurs estiment que la Turquie remplit de fait les exigences de l’article 10.3 de la Charte.

Article 11
Protection légale de l'autonomie locale - Non ratifié

Les collectivités locales doivent disposer d'un droit de recours juridictionnel afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacrés dans la Constitution ou la législation interne.


Il doit être souligné d’emblée que la Turquie n’a pas inclus l’article 11 de la Charte parmi les dispositions qu’elle a ratifiées. Elle n’est donc pas liée par cette disposition. Cela étant, dans un souci d’exhaustivité, cet aspect de l’administration locale doit aussi être évoqué.

 

L’analyse de la protection légale de l’autonomie locale en République de Turquie doit porter sur deux aspects différents : d’une part, l’accès permanent des collectivités locales aux juridictions ordinaires et, d’autre part, leur accès à la Cour constitutionnelle pour défendre le principe de l’autonomie locale. Concernant ce premier aspect, les collectivités locales de Turquie ont effectivement qualité pour agir devant les juridictions ordinaires ou administratives afin de défendre leurs droits, leurs biens et les intérêts, au même titre que toute autre personne morale. Par exemple, lorsqu’un juge de paix, à la demande du ministère de l’Intérieur, décide que le gouverneur doit se substituer au maire pour administrer la municipalité en cas de négligence grave de la part de ce dernier (voir ci-dessus), la municipalité peut déposer une objection devant le tribunal civil de première instance contre la décision du juge de paix (article 57, loi sur les municipalités).

 

La délégation n’a eu connaissance d’aucune plainte de la part de dirigeants ou représentants locaux à ce sujet. Cette situation doit être combinée avec le principe selon lequel toutes les personnes ont le droit de saisir la justice, principe fondamental proclamé à l’article 36 de la Constitution : « Chacun a le droit, en se servant de tous les moyens et voies légitimes, de faire valoir ses droits devant les instances judiciaires en tant que demandeur ou défendeur et a droit à un procès équitable.

 

Ce droit général d’accès aux tribunaux n’exclut pas d’examiner si les collectivités locales de Turquie disposent d’un recours ou d’une procédure juridictionnelle spécifique leur permettant de défendre le principe de l’autonomie devant les juridictions ordinaires ou administratives. La réalité est que tel n’est pas le cas. Les collectivités locales peuvent certes contester le fait que leurs biens ou leurs droits ont été affectés par une mesure gouvernementale, mais l’article 11 de la Charte requiert davantage, à savoir l’existence d’un recours ou d’une procédure juridictionnelle spécifique leur permettant de porter plainte pour une violation des principes de l’autonomie locale.

 

La possibilité pour les collectivités locales de saisir la Cour constitutionnelle est encore plus ténue, voire inexistante. En effet, dans le droit turc en vigueur, les collectivités locales n’ont pas qualité pour saisir le Cour constitutionnelle au sujet de l’inconstitutionnalité d’une loi ou en lien avec un recours spécifique alléguant une violation du principe d’autonomie locale (ou de celui de décentralisation). L’accès à ces procédures est restreint à certains requérants spécifiques, tels qu’un cinquième des membres du Parlement ou le Président de la République. Toutefois, il serait possible pour une collectivité locale d’engager une action devant une juridiction ordinaire ou administrative et pour celle-ci de soumettre une question préliminaire de constitutionnalité de la loi qui doit être appliquée dans le règlement de la procédure, en lien avec une violation présumée de l’article 127 de la Constitution. Cela ne s’est cependant jamais produit.

 

Dans ces conditions, comme on l’a vu à la section 3.3, il résulte qu’à ce jour le concept et le principe de l’autonomie locale n’ont joué aucun rôle dans le cadre du contrôle constitutionnel de la législation. 

L’autre domaine d’activité important de la Cour constitutionnelle est le recours appelé « requête individuelle », qui permet à une personne physique ou morale d’alléguer une violation d’un droit fondamental protégé par le Constitution ou la Convention européenne des droits de l’homme. Ici encore, il n’existe aucune jurisprudence de la Cour constitutionnelle concernant l’autonomie locale, puisque la Charte n’est pas considérée comme un traité du domaine des droits de l’homme ou des droits fondamentaux, comme la CEDH, et que l’autonomie locale n’est pas considérée comme un droit fondamental (contrairement à la plupart des cours constitutionnelles). 

 

Compte tenu de ce qui précède, et bien que la Turquie ne soit pas liée par cette disposition, la délégation estime que dans les circonstances actuelles le système d’administration locale de la Turquie ne satisfait que partiellement aux exigences énoncées dans l’article 11 de la Charte.

ADHESION

au Conseil de l’Europe

RATIFICATION

de la Charte européenne de l’autonomie locale

CONSTITUTION | LEGISLATION NATIONALE

La Constitution turque ne reconnaît pas explicitement le principe de l’autonomie locale. Toutefois, les principaux textes relatifs aux trois grands types d’administrations locales énoncent le principe d’autonomie en tant qu’élément constitutif de la définition des municipalités, des municipalités métropolitaines et des administrations provinciales spéciales. 

 

Voir article 2 pour plus d'information



20Disposition(s) ratifiée(s)
0Disposition(s) avec réserve(s)
10 Articles non ratifiés
17Disposition(s) conforme(s)
5Articles partiellement conformes
7Disposition(s) non conforme(s)